
Quand j’ai eu cette idée folle d’écrire une biographie de Balzac, j’ai été frappée par la ressemblance entre son époque et la nôtre. (...)
Il se trouve que la monarchie de Juillet est installée depuis deux ans quand une épidémie de choléra arrive en France. Elle avait démarré en Inde et les dirigeants français avaient d’abord pensé qu’elle n’arriverait jamais jusqu’à l’Hexagone parce que... eh bien, sans doute parce qu’ils pensaient qu’elle s’arrêterait gentiment à la frontière.
Bref, en 1832, en mars pour être précise (tiens, tiens) la maladie fait sa première victime à Paris. Au début, les journaux en plaisantent. Personne ne prend ça très au sérieux. Mais le nombre de décès se multiplie de jour en jour. Les Parisiens les plus fortunés quittent alors la ville pour se réfugier à la campagne. C’est le cas de Balzac, (...)
Dans les grandes villes comme Paris ou Marseille, la situation ne cesse de s’aggraver. Les médecins ne comprennent pas cette maladie, on entend des préconisations contradictoires. Et puis, comme la maladie touche avant tout les pauvres, on s’imagine que c’est une sorte de punition pour leur alcoolisme/saleté/impiété/guillotinage de roi.
Certains pauvres, de leur côté, se demandent si ce ne serait pas les patrons et le gouvernement qui les empoisonnent exprès pour les affaiblir. Il faut dire que la France connaît pas mal de mouvements sociaux.
Comme l’a raconté l’historienne des révolutions Mathilde Larrère, faute de payer les étudiants en médecine qui avaient apporté leur aide pendant l’épidémie, et alors qu’on promettait aux médecins une prime, le gouvernement voulut leur remettre une médaille. Ça rappelle quelque chose.(...)
Mais en juin (tiens, tiens), la révolte reprend. Je vous passe les détails, grosso modo un des opposants au régime, le général Lamarque, meurt du choléra et ses funérailles, le 5 juin, virent assez vite au rassemblement politique et à la manif. Il y a des affrontements avec les forces de l’ordre (même si une partie de la garde nationale fraternise avec les insurgés) et des barricades.
Et là, au lieu de calmer les choses, Louis-Philippe décide qu’il est hors de question de laisser la chienlit se propager et va leur montrer qui est le chef. Le 6 juin, une véritable bataille a lieu. Cinquante-cinq morts côté armée, dix-huit pour la garde nationale et quatre-vingt-treize parmi les insurgés.
Des députés demandent au roi d’arrêter ce bain de sang et de changer sa politique. À la place, il déclare Paris en état de siège. Les insurgés sont arrêtés et condamnés. (Toutes mes plus sincères excuses aux historien·nes pour ce très grossier résumé.)
Cette insurrection de 1832, on ne l’étudie pas à l’école mais tout le monde la connaît sans la connaître parce que c’est celle que raconte Victor Hugo dans Les Misérables. (...)
ce qui ne change pas, c’est chez les dominé·es le désir profond d’être traité·es à égalité. Ce ressort intime qui fait que l’inégalité devient à un moment, pour celles et ceux qui la subissent, une injustice insupportable. Tellement insupportable qu’on a besoin de sortir de chez soi pour le crier, tellement insupportable que commence à poindre l’espoir que les choses pourraient changer, qu’on pourrait inventer une société moins maltraitante, moins dure, moins injuste.
Vers la révolution
Mais ce qui ne semble pas changer non plus, c’est la réponse à cette demande d’un présent meilleur. Cette réponse, c’est toujours la répression par la force. (...)
De nos jours, Gavroche est un enfant noir. Et il réclame toujours la même chose : l’égalité.(...)
Et que se passa-t-il après juin 1832 ? Si le gros de l’épidémie était passé en France, cette pandémie de choléra dura à l’échelle mondiale une vingtaine d’années par intermittence.
Des mouvements sociaux continuèrent d’éclater en France (notamment quand des patrons voulurent baisser les salaires pour des raisons économiques). Le gouvernement restreignit la liberté de la presse et renforça l’appareil répressif contre les insurgé·es et autres manifestant·es.
Ceci, jusqu’à la révolution de 1848 qui mit fin au règne de Louis-Philippe et aboutit à un nouveau régime (la Deuxième République), qui fut très vite récupéré par Napoléon III pour en faire le Second Empire.
Je laisserai la conclusion à ma chère Zulma Carraud qui écrivait dans une lettre à Balzac : « Je hais tout pouvoir en ce que je n’en ai pas encore rencontré un de juste. »
Quant à Honoré, il tenta de draguer Zulma et se prit le plus gros râteau de sa vie.