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Orient XXI
Envers et contre tout, la persistance de la Palestine
Article mis en ligne le 8 août 2022

Si la Palestine semble avoir disparu de l’ordre du jour diplomatique occidental et arabe, elle demeure ancrée dans la réalité régionale et dans la mémoire des peuples. On ne peut pas si facilement éradiquer l’aspiration à l’émancipation.

(...) La visite du président américain Joe Biden au Proche-Orient en juillet 2022 n’a en rien changé la stratégie américaine dans la région. Celle-ci visait essentiellement à réduire les prix de l’énergie par suite de la guerre en Ukraine qui menace l’économie mondiale. Par-delà un soutien de pure forme à la solution des deux États, Joe Biden a ignoré la question de la Palestine, laissant le peuple palestinien plus marginalisé que jamais. (...)

Joe Biden n’a pas remis en cause les concessions que Donald Trump avait faites à Israël. Les colonies israéliennes n’ont fait l’objet d’aucune condamnation officielle. Le consulat américain à Jérusalem-Est reste fermé, entérinant ainsi la revendication israélienne sur la ville contestée. De même que le bureau de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington. Les États-Unis n’ont pas proposé de cadre pour de nouvelles négociations. Biden a certes rétabli l’aide aux Palestiniens, mais cela permettra seulement à une Autorité palestinienne (AP) corrompue et inefficace de subsister. (...)

La question de la Palestine n’a plus autant d’impact sur les politiques nationales qu’elle n’en a eu dans le passé. Les Palestiniens ont payé le prix du déclin des idéologies transnationales, que ce soit le nationalisme arabe ou l’islamisme qui stimulaient le soutien à l’autodétermination palestinienne. De plus, sur le plan économique et politique, beaucoup de pays ont traversé des conflits ou des transitions tumultueuses depuis les Printemps arabes. Les sociétés des pays arabes se concentrent désormais plus sur les enjeux économiques ou sur les luttes locales pour la dignité et la justice que sur des problèmes régionaux comme la Palestine. (...)

Socialement, la répression et la fragmentation de nombreuses sociétés civiles ont également empêché la mobilisation de masse contre l’agression israélienne. Les manifestations pro-palestiniennes ont donc diminué en nombre et en ampleur, à l’exception peut-être de la Jordanie compte tenu de sa proximité géographique. (...)

Enfin, en termes géopolitiques, la Palestine ne structure plus l’agenda régional, car celui-ci a disparu au profit d’autres recompositions. L’ancien système interarabe construit sur un consensus durable coordonné par la Ligue arabe s’est pratiquement effondré.

Incitations à la normalisation

Pourtant, la nouvelle ère de normalisation incarnée par les Accords d’Abraham représente moins une convergence fortuite d’intérêts qu’une nouvelle structuration des dynamiques régionales. À chaque étape est apparue une nouvelle incitation à la normalisation (...)

Depuis le départ de Trump, nous sommes entrés dans une troisième phase. Les États arabes se sont dégagés de leurs alliances précédentes et, devant une hégémonie américaine déclinante, poursuivent désormais leurs propres intérêts. L’élaboration d’une paix séparée avec Israël profite à chaque « normalisateur » de façon différente, et aucun de ces avantages ne découle vraiment des nobles promesses des accords d’Abraham, qui, selon ses concepteurs, devaient déclencher une vague sans précédent d’intégration économique et de prospérité dans toute la région. (...)

La question palestinienne est donc négligée, non pas dans le cadre d’une nouvelle concertation régionale, mais parce qu’il n’y a justement plus d’ordre régional. Les alliances traditionnelles ont été remplacées par un paysage toujours changeant de conflits et de regroupements ad hoc, chaque État voyant le système régional comme un vaste buffet dans lequel il peut picorer et prendre des positions apparemment contradictoires. Il y a moins d’axes permanents que d’alliances temporaires. Ces modèles de coopération sont utilitaristes, non pas fondés sur un accord idéologique, mais plutôt sur des convergences temporaires d’intérêts qui se juxtaposent. (...)

Les régimes arabes dénoncent l’occupation et la colonisation de la Palestine, mais seulement du bout des lèvres. Ils jouent eux aussi un jeu à deux niveaux : les dirigeants recherchent tous les avantages matériels qu’ils peuvent obtenir en faisant la paix avec Israël tout en faisant davantage pression sur les éléments pro-palestiniens de leurs sociétés civiles. Cependant, cette stratégie est menacée par deux nouveaux développements.
La question du sacré

Premièrement, la crise palestinienne a évolué pour devenir une question de droits humains et non plus de lutte de libération nationale. Elle entre dans le cadre d’une défense universelle des droits civils et du principe de dignité. Puisque la solution à deux États a été méthodiquement rendue impossible par la droite israélienne, le principal cadre de référence des Palestiniens est celui du respect de leurs droits sous la domination israélienne. Le tollé mondial suscité par le meurtre de la journaliste américano-palestinienne Shirin Abou Akleh témoigne de cette évolution. Il en va de même pour la vague de soutien international au mouvement Boycott désinvestissement sanctions (BDS) qui rend la lutte pour la Palestine très proche de la campagne anti-apartheid contre l’Afrique du Sud.

Deuxièmement, depuis les récents affrontements sur l’esplanade des Mosquées-mont du Temple, l’attention s’est reportée sur la dimension religieuse du conflit autour de Jérusalem, rappelant sa qualité de Ville sainte. (...)

Alors que certains politiques israéliens souhaitent sécuriser Jérusalem au plus vite, d’autres prennent en compte cette dimension sacrée et préfèrent ainsi n’occuper la ville que par étapes afin de réduire la possibilité d’une révolte à motivation religieuse. Cependant, ils sont contredits par leurs partenaires les colons qui opèrent dans une logique non pas politique mais religieuse, voire messianique, et poursuivent avec zèle le rêve d’une « Grande Judée ».

Ce dédoublement du politique et de la religiosité inquiète les régimes arabes. Ils comprennent la logique stratégique à l’œuvre dans l’accaparement de terres palestiniennes par Israël, mais ne peuvent gérer ni le contre-choc spirituel entraîné par l’occupation de Jérusalem ni la transformation de la cause palestinienne en une campagne globale pour les droits civiques. Ainsi la crainte du contre-choc explique la réticence de l’Arabie saoudite à la normalisation, puisqu’elle ne peut sacrifier Jérusalem tout en prétendant défendre La Mecque et Médine au nom de la oumma mondiale.

La Palestine a sans aucun doute subi un revers dans cette nouvelle ère. Pourtant, la crise ne se dissipera pas. Les Palestiniens sont aujourd’hui dans une impasse. Mais l’histoire montre que les revendications d’émancipation persistent face à un colonialisme implacable. (...)

la cause palestinienne perdurera. L’émancipation est une aspiration humaine fondamentale, qui résistera à toutes les pressions géopolitiques et religieuses qui la contraignent aujourd’hui.