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« Entrée du personnel » : une chronique de la déshumanisation du travail au sein des abattoirs
Article mis en ligne le 1er juillet 2019
dernière modification le 30 juin 2019

Le documentaire Entrée du personnel, tourné dans de grands abattoirs industriels, met en lumière les conditions de travail des salariés qui manipulent toute la journée des pièces de viande. Grâce aux témoignages qu’il met en scène, le film de Manuela Frésil place l’intime et les récits de vie au cœur du dispositif. En ralentissant la cadence, il nous invite à prendre conscience de l’absurdité d’un système qui abîme des hommes et des femmes, dans l’ombre du travail à la chaîne.

Dans l’usine, une cadence infernale règne. Pour s’adapter à la vitesse des machines, les travailleurs soutiennent ce rythme effréné. La caméra, elle non plus, ne s’arrête jamais longtemps. Elle se déplace en accompagnant les mouvements rapides et répétés des ouvriers et des ouvrières, ou en suivant crûment les longues chaînes sur lesquelles défilent la viande et les carcasses – volaille, porc ou boeuf.

Les mains répètent toujours les mêmes gestes : couper, préparer les morceaux, manipuler les pièces. Tout comme les corps des animaux sont découpés, les plans serrés sur les bras ou les visages morcellent les êtres humains. « Vous êtes des bras et des jambes », résume l’un d’eux, car sur la chaîne, ce ne sont que les gestes qui comptent pour accomplir la tâche attendue. Tout au long du film, les ouvriers s’activent dans un vacarme assourdissant, mêlant le bruit métallique des machines et les cris des animaux.
Avoir mal « quand le corps est froid »

Pour les travailleurs, la peine ne s’arrête pas à la sortie de l’usine. Ce qui les frappe en premier, ce sont les douleurs qui s’incrustent dans le corps. Les gestes courts et répétés autant que les gestes physiques causent des troubles musculo-squelettiques définitifs qui vont jusqu’à empêcher l’une d’elle de pouvoir s’habiller. Ces douleurs les suivent une fois le travail fini et les empêchent de dormir la nuit, quand ce ne sont pas des cauchemars qui viennent troubler leur sommeil. Car ce n’est pas n’importe quel travail d’usine que d’abattre ou de couper à la chaîne des êtres vivants. Un des hommes évoque la cadence de tuerie qui l’a fortement choqué à son arrivée. (...)

« Impasse de l’abattoir »

Ne pas avoir le choix, c’est ce qui pousse toutes ces personnes à rester à l’usine malgré les souffrances. Poussés par des raisons économiques, des responsabilités familiales, les salariés pensent d’abord que cet emploi n’est que temporaire, mais « c’est un temporaire qui dure longtemps ». « Ça donne l’impression d’être une prison », reconnaît un des hommes qui témoignent. L’écriteau indiquant « impasse de l’abattoir » situé à l’entrée du bâtiment, confirme l’absence d’échappatoire. Se syndiquer pour lutter déclenche immanquablement des problèmes, voire un licenciement. Quant à l’autre option, celle de monter en grade, elle implique de porter le sentiment de trahir ses collègues.

L’engrenage dans lequel sont pris les ouvriers, c’est la machine capitaliste. La promotion éloigne des tâches les plus dures, mais les contremaîtres sont celles et ceux qui doivent augmenter la cadence, jusqu’à épuiser les autres. Une fracture se crée alors parmi les salariés : « On n’a pas le droit d’avoir des amis quand on est responsable. […] On se sent trahir les autres. » C’est diviser pour mieux régner. (...)