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l’Humanité
Enquête. Comment P&O Ferries a pu licencier 786 marins en trois minutes
Article mis en ligne le 8 juin 2022

le 17 mars 2022, en fin de matinée, Joe travaille toujours, coiffé de sa toque de cuisinier, à bord du Pride of Canterbury, lorsqu’un commando d’une quinzaine d’hommes portant des bottes de combat, des pantalons de treillis noir, des menottes accrochées à la ceinture et des blousons de sécurité jaunes lui intime l’ordre de débarquer. « Vous venez d’être licenciés ! » aboient les hommes de main à l’ensemble de l’équipage. Recruté par la société de sécurité privée Interforce, le commando agit pour le compte de la compagnie P&O Ferries.

Au même instant, une scène similaire se produit sur toute la flotte de la compagnie. Des timoneries aux salles des machines en passant par les ponts-garages, les boutiques hors taxes, les bars et les restaurants, marins et officiers sont sommés de débarquer. Les commandos d’Interforce tambourinent aux portes des cabines afin de réveiller ceux qui viennent d’achever leur quart et les chassent de leur couchette. « À bord du Spirit of Britain, parmi les membres de mon équipage, certains avaient le visage blême, hagard. D’autres pleuraient ou criaient d’indignation, raconte Tom (1). Nous avons ensuite débarqué du navire, et des marins intérimaires étrangers nous ont remplacés sur-le-champ. »

Le précédent d’Irish Ferries, la « Ryanair des mers »

Cette scène épouvantable illustre la brutalité de la mise en concurrence internationale des travailleurs du transport maritime. Pour analyser cette lutte entre le capital et le travail, et reconstituer cet épisode dont la violence, inouïe, n’avait pas été égalée en Angleterre depuis le thatchérisme, l’Humanité a enquêté à Londres et à Douvres. Nous nous sommes procuré des documents confidentiels et avons interviewé une dizaine de marins, britanniques ou non, parmi lesquels des syndicalistes. Aucun n’a accepté de témoigner sous sa véritable identité. Les uns travaillent toujours pour la compagnie et redoutent des représailles. Les autres ont signé un accord de confidentialité en échange de leur prime de licenciement. (...)