
Après avoir été enlevés, torturés, violés et forcés au combat par le groupe armé État islamique (EI), près de 2 000 enfants yézidis sont rentrés dans leur famille, en Irak. Beaucoup souffrent de graves troubles de santé mentale ou de handicaps physiques, de déscolarisation, et sont privés de leurs droits fondamentaux. D’autres enfants, nés des viols des combattants de l’EI, sont séparés de leur mère.
Tous les enfants ont droit à la santé, à l’éducation, à une identité légale et à l’unité familiale sans discrimination. Les autorités irakiennes, avec l’aide de la communauté internationale, doivent garantir les droits des enfants yézidis survivants de l’EI.
« Ils m’ont obligé à me battre. Soit je le faisais, soit je mourais. Je n’avais pas d’autre choix » raconte Sahir*, recruté de force à l’âge de 15 ans. Comme lui, des centaines d’enfants yézidis ont été enlevés en Irak entre 2014 et 2017 par l’organisation État Islamique. Ils ont été affamés, torturés, violés ou forcés à se battre. La plupart ont subi une propagande intense, un endoctrinement et un entraînement militaire. Le but de l’EI était clair : effacer délibérément leur ancienne identité, leur langue et leur nom.
Malheureusement, leur retour dans leur communauté n’a pas marqué la fin de leur supplice selon les conclusions de notre dernier rapport sur le sort des enfants yézidis rescapés de l’EI. Entre février et juillet 2020, grâce à votre soutien, nos chercheurs ont pu enquêter sur le terrain, rencontrer et interroger une centaine de personnes dont des enfants survivants, des mères d’enfants nés de viols et des psychothérapeutes.
Leur constat est sans appel : la plupart des enfants survivants de l’EI qui ont regagné leur famille restent confrontés à d’importantes difficultés. Ils souffrent de nombreux problèmes de santé physique et mentale, liés au conflit, à leur captivité et aux violences dont ils ont été victimes ou témoins, et la réponse des autorités nationales reste insuffisante.
[Une fois revenu de captivité], j’avais juste besoin de quelqu’un qui prenne soin de moi, qui me soutienne et me dise “je suis là pour toi”. C’est ce que j’ai recherché, et je ne l’ai jamais trouvé.
Sahir*, recruté de force par l’État islamique à l’âge de 15 ans (...)
Des jeunes filles yézidies qui ont survécu à la captivité rencontrent elles aussi des problèmes de santé particuliers en raison des viols ou des autres violences sexuelles qu’elles ont subies de la part des combattants de l’EI. Selon une femme médecin interrogée, presque toutes les filles âgées de 9 à 17 ans qu’elle a prises en charge avaient été soumises à des violences sexuelles. Elles souffrent aujourd’hui d’infections sexuellement transmissibles et de menstruations irrégulières, mais aussi de fistules traumatiques ou de difficultés à avoir un enfant.
J’étais une enfant lorsqu’ils m’ont mariée. Ils m’ont fait souffrir. Je veux que mon avenir soit meilleur et je veux que l’EI rende des comptes pour tout le mal qu’ils m’ont fait.
Randa*, 14 ans, qui a passé cinq ans en captivité sous le contrôle de l’EI (...)
Au-delà des traumatismes physiques, presque toutes les personnes qui accompagnent les enfants yézidis survivants de l’EI ont déclaré que leur santé mentale avait été affectée par leur captivité. Certains ne parlent plus. Beaucoup souffrent du syndrome de stress post traumatique (hyper excitabilité, associabilité, tendances suicidaires, énurésie, reviviscence, etc.) risquant de les hanter toute leur vie. (...)
Autre problème, de nombreux enfants yézidis sont rentrés en parlant arabe, et non plus kurde. Privés de la langue parlée par leur famille et leur communauté, ils ont du mal à être réintégrés. Bien souvent, ils souffrent d’isolement car leur entourage a du mal à accepter ce qu’ils ont vécu durant leur captivité. (...)
Des enfants arrachés à leur mère
En raison des politiques de viols systématiques et d’esclavage sexuel menées par l’EI, les femmes yézidies ont donné naissance à des centaines d’enfants pendant leur captivité. De nombreux facteurs culturels et juridiques conduisent à ce que ces enfants soient exclus de la communauté yézidie, obligeant les mères à se séparer d’eux ou à rester dans les camps de déplacés ou aux mains de l’EI pour ne pas avoir à abandonner leurs enfants. Plusieurs femmes que nous avons interrogées ont déclaré avoir subi des pressions, des contraintes ou même avoir été dupées pour abandonner leurs enfants.
Je veux dire [à notre communauté] et à chacun et chacune dans le monde, s’il vous plaît acceptez-nous, et acceptez nos enfants… Je ne voulais pas avoir un bébé de ces individus. J’ai eu un fils contrainte et forcée. Je ne demanderai jamais à être réunie avec son père, mais j’ai besoin de retrouver mon fils.
Janan*, 22 ans (...)
Systématiquement soumis à l’horreur de la vie sous le contrôle de l’EI, les enfants yézidis survivants sont aujourd’hui trop souvent livrés à eux-mêmes pour se reconstruire. Sur les 14 anciens enfants soldats que nous avons interrogés, plus de la moitié n’ont reçu à leur retour aucune forme de soutien, que ce soit sur le plan psychologique, sanitaire ou financier. (...)