(...) Richard, luisant de sueur, ne traîne pas : pour être payé une journée complète, il doit récolter entre 90 et 110 régimes. Une cadence éreintante pour cet homme de 38 ans qui travaille sept jours sur sept dans la palmeraie, à raison de dix heures par jour pour un salaire quotidien de 1,23 euros – trois fois moins que le salaire minimum en RDC, et en-dessous du seuil de pauvreté défini par la Banque Mondiale (1,62€/jour).
(...) En huit ans, le salaire de Richard a augmenté de 50 centimes d’euros. Dans le même temps, son employeur, la société Feronia, qui produit chaque année 41 000 tonnes d’huile de palme – une agroindustrie accusée de déforestation sauvage dans le bassin du Congo, a bénéficié de près de 128 millions d’euros d’aide de plusieurs banques européennes. Dont près de 25 millions d’euros versés par l’Agence française de développement (AFD) et Proparco, sa filiale dédiée au secteur privée. (...)
Conditions de travail déplorables
L’histoire débute en 2012. A l’époque, le site de production de Feronia est en déshérence. Les plantations, dont l’emprise s’étend sur l’intégralité des terres de la région de Lokutu, sont quasi à l’abandon : l’usine ne produit alors que 6 tonnes d’huile de palme par an, et les dettes s’accumulent. Mais près de 8 000 ménages dépendent de l’exploitation. De quoi justifier une demande de soutien financier à des bailleurs internationaux dont la mission est d’améliorer les conditions de vie des populations locales.
En échange de l’aide internationale, Feronia s’engage à mettre en place un plan action environnemental et social (PAES), censé bénéficier aux populations locales et aux travailleurs. Une promesse non tenue : Feronia va rester déficitaire jusqu’à sa faillite, en 2020, quant au PAES, ses avancées sont très éloignées des standards internationaux. (...)
Conditions de travail déplorables
L’histoire débute en 2012. A l’époque, le site de production de Feronia est en déshérence. Les plantations, dont l’emprise s’étend sur l’intégralité des terres de la région de Lokutu, sont quasi à l’abandon : l’usine ne produit alors que 6 tonnes d’huile de palme par an, et les dettes s’accumulent. Mais près de 8 000 ménages dépendent de l’exploitation. De quoi justifier une demande de soutien financier à des bailleurs internationaux dont la mission est d’améliorer les conditions de vie des populations locales.
En échange de l’aide internationale, Feronia s’engage à mettre en place un plan action environnemental et social (PAES), censé bénéficier aux populations locales et aux travailleurs. Une promesse non tenue : Feronia va rester déficitaire jusqu’à sa faillite, en 2020, quant au PAES, ses avancées sont très éloignées des standards internationaux. (...)
Joseph ne décolère pas. « Ils ont ruiné notre santé », s’emporte l’homme, diplomé en bio-chimie, avec près de 10 ans d’expérience. Il en veut pour preuve un sujet tabou : les problèmes d’impuissance sexuelle dont sont victimes la plupart des ouvriers du secteur phyto-sanitaire de Feronia. « Personne ne vous le dira, mais après quelques années au contact de ces produits, vous ne pouvez plus avoir d’érection, confie-t-il. Au début je pensais que c’était juste moi, mais on en a parlé entre nous et on s’est rendu compte qu’on avait tous le même problème ». (...)
Plus d’une dizaine de salariés rencontrés par Disclose seraient atteints des mêmes symptômes. Ce que les directions de Proparco et des autres bailleurs de fonds n’ignorent pas. (...)
« Si on ose demander ou qu’on se confie à une personne extérieure à l’entreprise, nous sommes accusés de trahison. En fait, Feronia réprime tous ceux qui osent briser le silence ».
Chantiers fantômes
Cette stratégie d’intimidation ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. (...)
Cette promesse avait été signée dans un « cahier des charges » négocié avec la société il y a 4 ans, en 2017, en échange du financement des banques européennes. Dans ce document, les habitants réclamaient, entre autres, dix écoles, deux centres de santé, l’entretien des routes, des maisons particulières pour les chefs de secteurs, des puits, des tôles et des sacs de ciment. (...)
Selon Proparco, plus de « 12 millions de dollars » auraient été dépensés dans ces divers projets. Or, la plupart d’entre eux demeurent toujours à l’état de chantier ou sont inutilisables, comme le dévoilent des informations disponibles en ligne et des rapports internes à l’entreprise que Disclose s’est procuré. C’est le cas d’un centre de santé livré sans tables ni chaises, d’une école dont les portes et les fenêtres n’ont toujours pas été posées ou de la route reliant Yalifombo au dispensaire médical qui n’a jamais été entretenue malgré la promesse écrite dans le « cahier des charges ».
« La vérité, c’est que personne ne sait vraiment ce qui a été fait avec cet argent ». (...)
Durant huit ans, l’AFD a été régulièrement informée des exactions commises par la société Feronia, notamment via les organisations de la société civile, dont CCFD-Terres Solidaires. L’ONG qui œuvre contre la faim dans le monde et la réduction des inégalités a rencontré des représentants de Proparco, à Paris, à ce sujet au moins une fois par an depuis 2012. Une plainte a également été déposée par les communautés locales auprès du mécanisme indépendant de traitement des réclamations environnementales et sociales (ICM), une structure internationale dont Proparco fait partie.
Dans un document de 12 pages, et à l’issue de deux visites de terrain, les rapporteurs du mécanisme de traitement des réclamations confirment la recevabilité de la plainte et proposent un plan de médiation. Selon nos informations, ledit plan n’a toujours pas été mis en application. Deux ans après leur dépôt de plainte, les communautés n’ont toujours pas accès à la justice et les exactions se poursuivent. (...)
Feronia et sa compagnie de sécurité dédiée à la « sécurisation des plantations » sont également sous le coup de nombreuses allégations d’exactions contre des habitants. Comme ce 21 février dernier où un jeune homme, Blaise Mokwe, a dû traverser les plantations de l’entreprise pour rendre visite à sa mère, à 25 kilomètres de Lokutu, dans le petit village de Mosité. Une machette à la main, comme c’est souvent le cas dans cette région, Blaise s’est fait interpeller par « les gardes industriels » de l’entreprise. « Ils l’ont pris pour un voleur de noix de palme, et l’ont violemment tabassé », explique son frère aîné, Eddy Baitata Lisemu. Conduit à la prison de Lokutu, il sera libéré quelques heures plus tard avant de décéder dans la nuit.
D’après un rapport médical que Disclose s’est procuré, le jeune homme est mort des suites d’une « fracture à l’avant-bras droit » et d’une blessure traumatique à la poitrine. (...)
En 2020, Feronia a fait faillite et les banques de développement se sont presque toutes retirées du projet. La plantation a été reprise par un fonds d’investissement basé à Maurice, Straight KKM 2 Limited. Dans un laconique communiqué, publié en avril 2021, le groupe AFD a acté « la fin de [s]a participation indirecte » dans l’entreprise. En revanche, l’AFD n’a pas répondu à nos questions sur le montant des pertes financières engendrées par cet investissement.
A Lokutu, les travailleurs et les communautés villageoises n’ont aucune information sur les déboires judiciaires de la société. Papy Lonkonfo, le responsable du service social de la compagnie se veut prosaïque : « Sans cette entreprise ici, qu’est-ce qu’il y aurait ? C’est mieux que rien. »
En attendant que la situation juridique soit clarifiée, les habitants et les travailleurs des palmeraies vont devoir se contenter encore quelques temps du « mieux que rien ». Quant aux cadres de la plantation, ils ne semblent pas avoir changé de méthodes. En mars 2021, un homme a encore trouvé la mort dans des circonstances troubles. Manu Efolafola, accusé d’un vol de chaise en plastique, était escorté sur le fleuve en pirogue par un membre de la sécurité de la plantation et par des policiers lorsqu’il est tombé à l’eau, les mains entravées par une corde. Son corps n’a jamais été retrouvé. (...)