
A l’issue de sa visite en Grèce qui s’est achevée le 8 décembre 2015, l’Expert de l’ONU sur la dette Juan Pablo Bohoslavski a recommandé au gouvernement grec « d’améliorer les procédures juridiques et administratives pour examiner la responsabilité des autorités du gouvernement et celles des décideurs du secteur privé » en citant l’exemple de l’Islande. Ce petit pays de 320 000 habitants a, en effet, démontré qu’il est tout à fait possible de poursuivre en justice les responsables de la crise financière et de les condamner à des peines d’emprisonnement. Le CADTM s’est entretenu avec Eva Joly, députée européenne du groupe des Verts qui a joué un rôle clé puisqu’elle a conseillé en 2009 et 2010 le Procureur spécial islandais dans le cadre de ces enquêtes pénales. Eva Joly, à qui nous avons remis le dernier ouvrage d’Eric Toussaint « Bancocratie », aborde également dans cet entretien la gestion de la crise en Islande et les pressions de ses créanciers pour obtenir le remboursement d’une dette illégitime.
(...) Eva Joy : Contrairement aux autres pays européens, les dettes du secteur bancaire n’ont pas été transférées vers le secteur public. Elles ont été supportées par les créanciers de ces banques plutôt que par la population islandaise. Ce qui est tout à fait normal vu que la grande majorité des Islandais-e-s ne sont en rien responsables du comportement des banques.
Le refus d’assumer ces dettes provient de la formidable mobilisation citoyenne qui, malheureusement, a été largement passée sous silence par les grands médias. Rappelons que par deux référendums successifs (en mars 2010 et avril 2011), le peuple islandais a refusé de rembourser les créanciers étrangers qui étaient principalement des épargnants britanniques et néerlandais ayant perdu de l’argent lors de la faillite en 2008 de la banque en ligne Icesave, la succursale Internet de la banque Lanbanski qui offrait des taux délirants. Les résultats de ces référendums ont été suivis d’effet par le gouvernement islandais en dépit des protestations des gouvernements anglais et hollandais. La population a ainsi obtenu une victoire sur les créanciers.
Que réclamaient le gouvernement hollandais et anglais ?
Ils exigeaient que l’Islande leur verse des sommes astronomiques (plus de 2,7 milliards d’euros pour le Royaume-Uni et plus de 1,3 milliards d’euros pour les Pays-Bas) assorties d’un taux d’intérêt de 5,5 %.
Alors que les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont accueilli à bras ouverts les filiales et succursales de ces banques islandaises et que les autorités de ces deux pays ont été alertées des risques qui pesaient sur ces banques, ils ont estimé que c’était à l’État islandais de garantir les dépôts réalisés auprès d’Icesave... Et ils ont décidé de fixer eux-mêmes cette garantie de 50 000 euros à 100 000 euros par dépôt. Or, ce que disait la directive européenne sur les garanties des dépôts était bien différent. (...)
En plus de nier leurs responsabilités |1| et de bafouer le droit européen, les gouvernements de Grande-Bretagne et des Pays-Bas ont tenté d’imposer le remboursement de ces dettes privées en exerçant un chantage odieux sur le gouvernement islandais. Mais fort heureusement, le peuple a résisté au chantage et a poussé le Président d’Islande à recourir aux référendums |2| afin de rejeter les demandes des créanciers. (...)
nous avons pu mener des perquisitions dans les filiales des banques islandaises comme la filiale de Kaupthing au Luxembourg. Il faut souligner que cette banque empruntait auprès de la Banque centrale européenne (BCE) de manière frauduleuse, que le ratio de solvabilité inscrit dans les Conventions de Bâle n’était absolument pas respecté et que des délits boursiers ont été commis. D’autres délits sont venus s’ajouter au fil de notre enquête.
Concrètement, ces enquêtes ont permis les poursuites en justice et les condamnations de plusieurs dizaines de responsables de haut niveau. Jusqu’à aujourd’hui, Il n’y a malheureusement pas d’équivalent dans d’autres pays européens.
Qui sont ces responsables condamnés et pour quel motifs ?
Les personnes qui ont été poursuivies et condamnées par les tribunaux islandais occupaient différents postes clés. On trouve aussi bien des PDG de ces banques, des directeurs financiers, des avocats de ces banques, des gros actionnaires que des hauts fonctionnaires d’État.
Les peines prononcées, dont certaines font encore l’objet d’appel, vont jusqu’à 6 ans de prison ferme. Ces individus n’ont pas pu « acheter » leur procès via des transactions financières pour échapper à toute sanction comme c’est souvent le cas ailleurs, notamment aux États-Unis. (...)
Il y a aussi de nombreuses autres procédures en cours (une quarantaine) et des dossiers toujours en phase d’enquête (près d’une trentaine). Le combat contre l’impunité est donc loin d’être terminé en Islande ! Il serait temps que cette volonté politique de poursuivre en justice les responsables de la crise financière se répande dans d’autres pays.