François Hien est cinéaste. Il nous a écrit du Caire pendant la révolution pour nous raconter l’extraordinaire soulèvement de la population égyptienne. Réalisateur d’un documentaire sur la diaspora irakienne, il s’est étonné de ne pas voir apparaître les manifestations irakiennes sur notre carte des révolutions arabes. De « la révolution arabe », explique-t-il. L’Irak apparaît désormais sur la carte. (...)
A présent, les choses sont claires : la nation arabe existe, elle repose sur une vaste dynamique des peuples qui communiquent, par delà leurs frontières et les pouvoirs politiques qui les musèlent, grâce aux réseaux sociaux, aux chaînes de télévision internationales et aux diasporas diverses ; en face de ces peuples civilisés, spontanément organisés, des pouvoirs finissants prouvent jour après jour qu’ils n’ont aucun respect de la vie même de leurs citoyens.(...)
Ces jours-ci, d’énormes manifestations ont eu lieu dans toutes les grandes villes, y compris au Kurdistan. S’y mêlaient toutes les communautés dont on fait croire depuis huit ans qu’elles n’ont pour vocation que de se massacrer entre elles. La répression du soulèvement a déjà commencé et l’on craint une escalade de la violence d’ici au 25 février, le « jour de la colère » annoncé par les différents mouvements de protestation.
On n’en parle quasiment pas dans les médias français. Au fond, la violence en Irak est devenue tristement coutumière. (...)
Ce qu’on a appelé le processus de démocratisation en Irak, mis en place par les Américains à partir de 2003, est en réalité une tentative cohérente de démantèlement de l’Etat central irakien. (...)
Saddam Hussein, c’est entendu, était un dictateur indéfendable. Mais il était pour autant patriote et tenait à ce que son pays dispose à son gré de ses ressources pétrolières. (...)
Quand les néoconservateurs, en plus des fictives armes de destruction massive, ont invoqué les droits de l’homme pour justifier l’invasion de 2003, ils camouflaient doublement leur intention véritable, que les années suivantes ont révélé dans toute son ampleur : ils ne voulaient plus d’un Irak unifié dont la force politique entravait leur projet d’un Moyen-Orient morcelé et soumis à leurs intérêts économiques. (...)
L’Irak est aujourd’hui la proie d’une coalition stratégique dont les membres ont tous intérêt à la division du pays. Leurs milices sectaires respectives prennent bien soin évidemment de ne pas se massacrer entre elles puisqu’elles partagent le même projet : la destruction de l’unité irakienne. Elles ne s’attaquent qu’à la population civile qui bientôt n’a plus d’autre choix, en l’absence d’un Etat protecteur, que de demander protection aux milices de leur communauté. (...)
Remarquons par ailleurs que les millions d’Irakiens de toutes classes sociales et de toutes communautés contraints à l’exil et regroupés en Jordanie et en Syrie cohabitent pacifiquement. La violence inter-communautaire n’est que le fruit de la construction politique initiée par l’occupation en Irak(...)
Depuis huit ans, la résistance intérieure – armée, civile et politique – n’a pas cessé. Son discours est resté le même : fin de l’occupation, annulation de ses conséquences et unité irakienne contre les tentatives de division.(...)
En plein Kurdistan notamment, le peuple kurde qu’on croit désireux d’indépendance proteste contre ses dirigeants solidairement avec les manifestations dans les régions arabes et turkmènes, qu’elles soient majoritairement chiites ou sunnites. Et le pouvoir régional kurde fait tirer sur son peuple.
Le vocabulaire adopté par les médias occidentaux participe inconsciemment du projet sécessioniste. On ne parle plus d’Irakiens mais exclusivement de chiites, de sunnites ou de Kurdes. (...)