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En Chine, le virus maîtrisé au prix d’un contrôle total de la population
Article mis en ligne le 26 mars 2020
dernière modification le 25 mars 2020

« Plus la situation semble s’améliorer et plus la ville renforce les contrôles. » Notre correspondante vit dans la province du Shandong, à l’est de la Chine. Elle raconte comment, deux mois après le début de la quarantaine et grâce à un contrôle social et technologique, le continent entend endiguer l’épidémie.

Jinan (Chine), correspondance

J’habite depuis neuf mois à Jinan, dans la province du Shandong où seulement sept victimes du Covid-19 ont été recensées. Je travaille comme coordinatrice pédagogique et enseignante dans une fondation française. C’est à mon retour de vacances, le 3 février, que j’ai vraiment pris conscience de la situation de ce que l’on nommait coronavirus. J’avais quitté une ville bruyante et bouillonnante et je me suis retrouvée face à un paysage fantasmagorique. Les piétons et les véhicules avaient disparu, laissant place à des stands contrôlés par les voisins aux entrées des lieux d’habitation. Les Chinois en étaient déjà à leur onzième jour de quarantaine.

Depuis plus d’un mois, je suis isolée dans mon appartement de 50 m2 et c’est au fil des jours que je prends connaissance de ce qui se passe. L’évolution des mesures prises est à la hauteur de la puissance du pouvoir et tout le monde les applique sans contester. (...)

Les décisions appliquées dans chaque ville ne proviennent pas seulement de Pékin mais aussi de la province où elle se situe et de son gouvernement. Les mesures peuvent donc varier selon les régions. Ici, dans le Shandong, à l’est de la Chine, chaque jour est une surprise. Tout change au gré de ces mesures. Plus la situation semble s’améliorer et plus la ville renforce les contrôles. Nous sommes passés de la « simple » prise de température à l’entrée des résidences à la géolocalisation de chaque citadin dans une ville qui compte plus de huit millions d’habitants. (...)

On peut traverser les résidences à pied sous le contrôle de caméras et de gardiens. Depuis le début de l’épidémie, les entrées des résidences sont barricadées et contrôlées par des résidents. Il est impossible de les traverser si l’on n’y habite pas. (...)

Dans le quartier, il y a une espèce de centre administratif, qui délivre les certificats d’isolement résidentiel jaunes pour les quatorze jours de quarantaine et les laisser-passer temporaires roses. Chacun doit y noter sa température deux fois par jour.
Ce sont les voisins qui font des gardes devant l’entrée des résidences et qui vers 23 h ferment les « portes » improvisées. Ces gardiens du moment prennent votre température, vos coordonnées et informent les autorités de tous les cas suspects. La délation est de rigueur afin de préserver non seulement le voisinage mais aussi le pays. La collecte des coordonnées sert à mieux contrôler la population et permet l’envoi de textos par la municipalité qui informe quotidiennement de la gestion de l’épidémie. Ce sont aussi les voisins qui désinfectent les escaliers des immeubles. D’après ce que j’ai compris, la mairie les paye pour veiller à la sécurité sanitaire des quartiers.(...)

Dans les parkings, les voitures restent garées, y compris les vélos de la ville. Tout le monde est confiné. De rares personnes âgées marchent seules dans la cour et quelques enfants y font du vélo. Pas de musique au balcon : il est mal vu de faire la fête dans des moments aussi tragiques.

(...)

Pour ceux qui ont pu travailler à distance, le télétravail a permis une certaine occupation depuis l’intérieur, certes invisible mais très active. En ce qui concerne l’enseignement, les enfants continuent les cours et les enseignants ont dû s’adapter au e-learning. D’ailleurs, la vente des tablettes a flambé et il est impossible de trouver des stylets dans les magasins Apple. La date de reprise des cours présentiels reste encore un mystère mais il semble que les lycéens rentreront d’abord pour passer les examens, suivis des collégiens, des écoliers, puis finalement des universitaires.

Depuis le début du mois de mars certains salariés ont pu reprendre leur travail. Ils ont l’obligation de se regrouper deux fois par jour pour la prise de température. Mais pour la grande majorité, il faudra attendre le feu vert du gouvernement de la province pour reprendre la vie active.

Après tout ce temps passé chez soi, on finit par s’y faire et on en arrive à prendre de nouvelles habitudes. Le repli sur soi permet l’ouverture sur les autres et sur un autre monde. Le nouveau monde réel se convertit en espace virtuel où l’on cherche un peu de réconfort et d’information. Mais on ne peut pas facilement accéder à l’information venant de l’étranger : pas de Google, ni de Facebook, Twitter ou WhatsApp, sauf en utilisant un VPN [soit un « réseau privé virtuel » qui permet de contourner ces limitations], ce qui est interdit.(...)

Maintenant que l’épicentre se trouve sur le vieux continent, la Chine a une longueur d’avance et on se demande si finalement le modèle du contrôle drastique ne serait pas nécessaire pour limiter les pertes humaines. Évidemment, il est possible pour cette puissance d’exporter son savoir, son expérience, ses conseils et même ses spécialistes. Mais qu’en est-il des libertés dans des pays qui la défendent ? Le contrôle social reste-il là seule solution pour combattre ce virus sans risquer une régression de notre intégrité ?