Le charbon est la source d’énergie qui émet le plus de gaz à effet de serre et déstabilise fortement le climat. En Allemagne, l’un des pays européens pourtant les plus avancés dans les énergies renouvelables, le combustible fossile fournit toujours près de la moitié de l’électricité. De nouvelles mines doivent être creusées et des villages entiers risquent d’être déplacés et détruits. Des paysages sont dévastés. Et des dizaines de millions de tonnes de CO2 seront émises dans l’atmosphère pendant de longues années. Sans oublier les particules fines. Reportage dans le bassin minier de Rhénanie.
Dans les rues désertes de son ancien village devenu fantôme, Klaus Mertens marche l’air désolé. L’homme de 70 ans montre ici l’ancienne devanture d’une boulangerie, là, les locaux de la banque : « Il y avait ici la salle des fêtes. Là, une auberge. Derrière, une boutique de journaux et de fleurs. On avait beaucoup de magasins pour un petit village comme ça. On pouvait faire toutes ses courses ici. » Le village d’Immerath, à une quarantaine de kilomètres de Düsseldorf, dans l’ouest de l’Allemagne, comptait plus d’un millier d’habitants. Aujourd’hui, il est vide. Une partie des habitations est démolie, des arbres abattus. Les maisons qui sont encore debout ont pour beaucoup leurs vitres brisées. « Nous avons de gros problèmes de sécurité. Il y a des cambriolages », déplore le chirurgien retraité en s’apercevant que la balançoire de son ancien jardin a disparu depuis sa dernière visite. Le village a-t-il été victime d’une catastrophe industrielle ? Oui et non : il a dû laisser la place au charbon. (...)
Douze villages à raser pour extraire du charbon
Immerath fait partie des douze villages en cours de déplacement et de démolition dans le bassin minier rhénan. Plus de 6000 habitants sont concernés [1]. L’entreprise RWE exploite ici du lignite, du "charbon brun". Elle extrait environ 100 millions de tonnes par an sur trois mines à ciel ouvert, Hambach, Inden et Garzweiler. Celles-ci s’étendent déjà sur 9000 hectares, soit deux fois la surface de la ville de Lyon. Le combustible vient alimenter les centrales thermiques à charbon de RWE. (...)
« Aucune autre énergie ne cause autant d’émissions de CO2 »
Les villages de Rhénanie risquent de ne pas être les derniers sur la liste des communes scarifiées au charbon. L’Allemagne compte onze mines de lignite en activité, et trois mines de houille, mais celles-ci fermeront en 2018, date à laquelle les subventions à l’exploitation de la houille cesseront. Avec plus de 178 millions de tonnes de lignite [3] extraite en 2014, le pays est l’un des plus gros producteurs de ce type de charbon au monde. (...)
Pour Dirk Jansen, président de l’association écologiste Bund dans la région de Rhénanie, « il n’y a pas de plus grande attaque contre la nature, les paysages, les systèmes de nappes phréatiques, et aussi sur les structures sociales que le lignite. Et aucune autre énergie ne cause autant d’émissions de CO2. C’est une énergie d’avant-hier, ça ne convient plus au XXIe siècle. » Lorsqu’il brûle dans les centrales thermiques, le charbon est en effet un véritable “tueur de climat” comme le disent les ONG allemandes. La combustion d’une tonne de houille émet 2,6 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, celle d’une tonne de lignite plus de 3 tonnes de CO2, selon les chiffres de Greenpeace. Parmi les dix centrales thermiques à charbon les plus polluantes d’Europe [5], cinq se trouvent en Allemagne.
Les centrales à charbon sont de fait responsables d’une grande partie des émissions de CO2 allemandes. (...)
Entre énergies renouvelables et charbon
C’est tout le paradoxe de la politique énergétique allemande. Avec 27 % de son électricité qui vient des énergies vertes, le pays est l’un des plus avancés en Europe et dans le monde sur les énergies renouvelables. La proportion d’électricité verte est en augmentation rapide et constante : elle était encore de 20 % en 2011, 10 % en 2005. L’Allemagne a aussi, on le sait, acté d’une sortie de l’énergie atomique d’ici à 2022. Mais à côté de ces choix écologiques, le pays tire toujours près de 45 % de son électricité du charbon (un peu plus de 25 % pour le lignite, 19 % pour la houille). La proportion du charbon a très légèrement augmenté avec l’arrêt immédiat de huit réacteurs nucléaires en 2011, après la catastrophe de Fukushima. L’arrêt de ces réacteurs a ensuite été essentiellement compensé par les énergies renouvelables. Aucun calendrier précis de sortie du charbon n’est envisagé pour l’instant chez les décideurs politiques.