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Orient XXI
Émirats arabes unis, l’allié peu glorieux de la France
Article mis en ligne le 30 décembre 2021

La signature par la France de nombreux contrats de ventes d’armes aux Émirats arabes unis n’a pas suscité beaucoup de réactions. Pourtant, un rapport de la FIDH, de ses organisations membres et partenaires et de l’Observatoire des armements dresse une liste accablante des violations des droits humains perpétrées par cet « allié ». Ses auteurs pointent la possible complicité des autorités françaises.

Les 3 et 4 décembre 2021, Emmanuel Macron était en tournée dans le golfe Arabo-Persique. Il a d’abord fait étape aux Émirats arabes unis (EAU), puis au Qatar, puis enfin à Djedda, en Arabie saoudite, où il a rencontré le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS), mis au ban de la communauté internationale en 2018 après l’abominable assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, et à qui le président de la République française, premier chef d’État d’un grand pays occidental à briser cette mise à l’écart, a donc redonné un peu de légitimité.

Cette tournée avait officiellement pour but de renforcer la lutte contre le terrorisme et le radicalisme islamiste, d’œuvrer à la stabilisation du Proche-Orient, et de raffermir encore les partenariats économiques de la France avec les trois pays visités. Ce dernier objectif a été pleinement atteint, puisque le président a notamment pu annoncer la vente aux EAU de 12 hélicoptères militaires Caracal (Airbus Helicopters), et de 80 exemplaires du Rafale, l’avion de combat largement financé par les contribuables français du groupe Dassault.
« Un partenariat stratégique »

L’acquisition de ces appareils par les Émirats a été triomphalement présentée comme le « plus gros contrat pour l’industrie française de défense de l’histoire » par le chef de l’État, selon qui cet accord est le fruit d’une « longue relation » entre Paris et Abou Dhabi. Sa ministre des armées, Florence Parly, a également acclamé, sur Twitter, la « signature d’un contrat historique » venant sceller « un partenariat stratégique plus solide que jamais », et a dit sa fierté « de voir l’excellence industrielle française au sommet ».

Mais derrière ces cocoricos et autres communiqués victorieux se cache la sordide réalité d’une compromission avec un régime épouvantable. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) publie le 14 décembre un dense rapport, « produit d’une recherche menée » pendant deux ans — entre avril 2019 et avril 2021 — avec l’Observatoire des armements, d’où il ressort en effet qu’en fait d’alliance durable et robuste, la France et les EAU pourraient bien être « partenaires » dans des « crimes » odieux. (...)

Le rapport met par ailleurs en lumière « les responsabilités directes et indirectes des autorités émiraties dans certaines des violations les plus graves qui ont été commises » au Yémen, où la guerre particulièrement atroce dans laquelle les Émirats se sont enrôlés en 2015 derrière l’Arabie saoudite a déjà fait plus de 350 000 victimes, principalement civiles.

La pratique banale de la torture

Les auteurs de ce document constatent d’abord que le régime émirati se livre chez lui, et sous couvert, notamment, d’« un dispositif juridique utilisant les lois de lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité pour réprimer la dissidence », à de « graves violations des droits humains ». Les Émirats ont adhéré en 2012 à la Convention des Nations unies contre la torture, qui leur fait obligation de « prendre des mesures actives pour prévenir et sanctionner cette pratique », d’ « offrir des réparations aux victimes », et de « respecter en définitive le principe de l’interdiction absolue de la torture ». Cependant, les EAU n’ont pas adhéré au protocole — facultatif — autorisant l’ONU à vérifier, en cas de plaintes, qu’ils respectent ces engagements. Et pour cause, puisque, selon la FIDH, « les autorités émiraties continuent à pratiquer la torture » contre « ceux qui sont perçus comme une menace » : défenseurs des droits humains, opposants politiques, personnalités religieuses et journalistes. (...)

D’autre part, « les autorités émiraties font régulièrement disparaître des militants, des défenseurs des droits humains et des critiques du gouvernement ». (...)

La FIDH observe qu’en

"en raison de ce système patriarcal, les femmes défenseures des droits humains sont confrontées à des obstacles supplémentaires lorsqu’elles font campagne pour leurs droits — elles sont fréquemment prises pour cible et couvertes de honte par les acteurs étatiques et non étatiques (y compris la famille, les communautés et la société en général). Lorsqu’elles sont emprisonnées, les femmes sont également soumises à la torture et à la violence — mais elles sont largement effacées de la sphère publique."

Les travailleurs migrants installés aux Émirats vivent eux aussi « dans des conditions terribles », poursuit le rapport, et sont considérés comme des citoyens de seconde zone. (...)

Les auteurs du rapport de la FIDH ont examiné dans le détail huit cas de « graves violations des droits humains » perpétrées entre 2016 et 2019, dont les auteurs « ont été identifiés comme étant soit directement des officiers émiratis », soit des membres des forces mandataires des Émirats. Dans tous ces cas, des « arrestations arbitraires » visant « des personnes considérées comme des opposants politiques » ou accusées d’être affiliées à des organisations terroristes sans que cette allégation soit prouvée « ont été effectuées, le plus souvent par des forces mandataires, lors de raids nocturnes terrifiants », au domicile ou sur le lieu de travail des victimes. Dans six cas sur huit, ces victimes auraient été torturées par des officiers émiratis. (...)

Violations graves du droit international

Ces violations sont amplement documentées. Mais la France continue de commercer avec leurs auteurs. Elle est même profondément « impliquée dans l’industrie de défense émiratie », notamment « par l’exportation directe d’armements vers les Émirats arabes unis » et « par le transfert de connaissances et de compétences, par le développement conjoint d’armements avec les Émirats » dans le cadre d’un projet impliquant également des fournisseurs allemands et britanniques.

Pour la FIDH, la responsabilité de la France est donc écrasante. (...)