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Orient XXI
Élections américaines. Le lobby pro-israélien aux côtés des candidats trumpistes
Article mis en ligne le 28 juin 2022

Un changement inattendu est advenu ces derniers mois dans le comportement de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac). Le 17 décembre 2021, cet organisme de défense des intérêts israéliens aux États-Unis s’est officiellement lancé dans la bataille des élections législatives du 8 novembre 2022 en annonçant la création d’un « comité d’action politique » (PAC) de très grande dimension.

Un « comité d’action politique » (Political Action Committee, PAC) est un organisme destiné à financer des campagnes politiques (et un super-PAC des super-campagnes). En janvier 2010, la Cour suprême, par cinq juges contre quatre, avait tranché en faveur d’une association ultraconservatrice nommée Citizens United, qui avait obtenu de pouvoir mettre sur pied des fonds de soutien aux candidats à des élections — les fameux PAC — sans limitation de taille et, mieux encore, en permettant que les donateurs puissent rester anonymes. Ces fonds, parfois gigantesques, ne peuvent verser directement de l’argent aux candidats, mais ils peuvent contribuer de manière illimitée à des campagnes supposément « indépendantes » en leur faveur. Les juges suprêmes justifiaient leur décision en considérant que ces PAC et super-PAC étaient validés par le premier amendement de la Constitution qui protège la liberté d’expression… Ou comment pervertir plus encore un système électoral américain déjà profondément gangrené par l’argent. (...)

Aipac est un des lobbies les plus riches des États-Unis. Il reste loin du lobby pharmaceutique ou de celui des fabricants d’armes lourdes, par exemple, mais parmi les lobbies politiques il est l’un des mieux dotés.

Mais « l’environnement politique » dans lequel il se meut a effectivement évolué — et pas dans son sens. La gauche démocrate est de plus en plus hostile à l’attitude israélienne envers les Palestiniens, au point que cela devient pour ce parti un enjeu interne — pas de première importance, mais un enjeu clairement montant. Et ce n’est pas l’assassinat de la journaliste américano-palestinienne Shirine Abou Akleh, puis les images déshonorantes, diffusées par tous les médias, de la police israélienne frappant à coup de matraque le cortège portant son cercueil pour en arracher les drapeaux palestiniens, qui va améliorer l’image d’Israël… Il fallait donc réagir à ce nouvel « environnement ».
Contre l’avortement, pour les armes et contre les minorités

Aipac a décidé d’agir dans deux directions. La première a été d’apporter un soutien actif public aux amis d’Israël les plus sûrs. Et qui sont-ils, sinon les trumpistes les plus acharnés du parti républicain ? (...)

Mais Aipac n’a pas seulement apporté son soutien massif à des candidats d’extrême droite. Le lobby a aussi longtemps refusé d’apporter son soutien à des républicains qui, même farouches supporters d’Israël, ne se rangent pas sous la bannière de Trump. Comme s’il ne fallait surtout pas froisser Donald, qui envisage toujours l’éventualité de se représenter. (...)

En agissant de la sorte, Aipac sait qu’il va à l’encontre des « valeurs » que soutiennent la majorité des juifs américains et qui les amènent à systématiquement voter, depuis plusieurs décennies, en faveur des démocrates. On va le voir, les critiques n’ont d’ailleurs pas manqué du côté des partisans démocrates d’Aipac, qui restent très nombreux. Pourtant, ses porte-paroles ont persisté, répétant à l’envi, contrairement à l’évidence, que le lobby restait « bipartisan ». Pourquoi a-t-il agi de la sorte ? Parce qu’une majorité de ses adhérents — suivant la ligne préalablement fixée par Benyamin Nétanyahou et que ses successeurs israéliens n’ont pas contestée à ce jour — considèrent que la position « bipartisane » consistant à trouver des alliés tant chez les démocrates que chez les républicains et qu’Aipac a suivie depuis sa création n’est plus de mise. Pour enrayer la dégradation constante de l’image d’Israël dans l’opinion américaine, mieux vaut renforcer le soutien des inconditionnels d’Israël (les franges nationalistes et évangéliques des républicains, aujourd’hui majoritaires à la base de ce parti), que celui d’un parti (le démocrate) dont la base abandonne cette inconditionnalité, ce qui le rend, de ce fait, de moins en moins « sûr ».
Des juifs qui tournent le dos à Israël

Au sein même d’Aipac, les critiques du soutien apporté aux républicains « putschistes » n’ont pas manqué. Elles se sont focalisées sur une idée : si Aipac privilégie l’appui à une mouvance politique antidémocratique, les juifs américains finiront vite par lui tourner le dos. (...)

Une guerre pour l’avenir du parti démocrate

Reste, dans ce paysage politique dominé par la quête de financements, à évoquer un cas qui est moins anecdotique qu’il pourrait paraître : celui des candidats démocrates qui bénéficient à la fois du financement du super PAC et… de l’autre lobby pro-israélien aux États-Unis, nommé J-Street, resté défenseur de la « solution à deux États » et qui critique la colonisation israélienne des territoires palestiniens occupés. Ils sont une cinquantaine dans ce cas (...)

En d’autres termes, tout ce pour quoi Aipac s’est battu depuis six décennies, à savoir faire du soutien à Israël un enjeu bipartisan, est en train de se déliter — et le lobby pro-israélien assume d’être de plus en plus identifié à la droite blanche raciste. Sanders ne s’y est pas trompé. La bataille qui s’engage entre la gauche démocrate et Aipac, qui soutient soit des républicains jusqu’à leurs franges les plus nauséabondes, soit les démocrates les plus conservateurs, va bien au-delà de l’enjeu proche-oriental ; c’est « une guerre pour l’avenir du parti démocrate », a-t-il jugé.