
Nous reproduisons ici la lettre ouverte adressée au président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi par plusieurs organisations progressistes ainsi que 170 personnalités égyptiennes, dénonçant l’accord signé entre le FMI et l’Égypte pour un prêt de 12 milliards de dollars.
Par ce prêt, le FMI concrétise les espoirs qu’il avait formulés dans les premiers mois du processus révolutionnaire afin de le mener à une impasse. L’institution financière internationale avait dû reculer à plusieurs reprises face aux mouvements de protestation sociale qui s’exprimaient - et s’expriment encore malgré la répression - à travers tout le pays. Comme c’est la règle avec le FMI, ce nouveau prêt sera accompagné de conditionnalités drastiques en termes d’austérité budgétaire, celles-là même qui n’ont fait que dégrader la situation sociale du pays depuis le premier plan d’ajustement structurel en 1991. Ce prêt viendra alourdir la dette de l’Égypte, qui n’a cessé d’augmenter sous Moubarak et dont le niveau est aujourd’hui particulièrement élevé. Pire encore, il s’agit d’un prêt accordé à un régime dictatorial qui n’hésite pas à emprisonner et tuer les opposant-e-s politiques (notamment les Frères musulmans, mais également les militant-e-s progressistes), les journalistes et les personnes LGBTIQ. Dans le même temps, l’armée, dont est issu le président Al-Sissi, bénéficie d’un poids économique énorme (les estimations varient généralement entre 25 et 35% du PIB), opaque (le secret des affaires de l’armée est garanti constitutionnellement, d’où les différences d’estimations) et largement orienté vers l’économie de rente (donc non-productive). Si l’on ne sait pas encore exactement où finira l’argent du FMI, une chose est certaine : il ne servira pas l’intérêt de la population égyptienne. Face à cette situation, les revendications d’un audit de la dette égyptienne avec participation citoyenne et d’une suspension de paiement, absentes de cette lettre ouverte, semblent plus que jamais d’actualité.
Message des forces nationales à Monsieur de Président de la République,
« C’est avec préoccupation que les forces nationales signataires de ce message suivent l’issue des négociations entre le pouvoir exécutif et la délégation du Fonds monétaire international (FMI) qui visite actuellement l’Égypte avec l’intention de lui accorder un prêt de 12 milliards de dollars. C’est avec inquiétude qu’ils suivent les mesures financières et économiques extrêmement sévères et sans pitié pour la majorité du peuple égyptien composée des classes pauvres et moyennes. Le pouvoir exécutif avait déjà commencé à mettre en œuvre ces mesures avant même l’annonce de ces négociations. Et cela en ignorant totalement l’ensemble du peuple, de ses syndicats, de ses fédérations et de ces forces politiques.
Le pouvoir exécutif a, en coordination avec la Banque centrale, procédé au flottement partiel de la Livre égyptienne (LE), en attendant son flottement total, conformément aux conditions du FMI. De même, il a présenté des projets de loi sur le service public et sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il a planifié la vente des actifs et des propriétés du peuple égyptien, parmi lesquels des banques et des entreprises rentables, et ce, dans une situation économique malheureuse où l’endettement intérieur frise les 2500 milliards LE et l’endettement extérieur a atteint 53 milliards de dollars en mars 2016.
Si nous prenons en compte l’annonce de l’accord sur un emprunt de 25 milliards de dollars pour financer la construction de la centrale nucléaire de Dabaa, ainsi que 21 milliards de dollars auprès du FMI, de la Banque mondiale et autre institutions, l’endettement public aura atteint un niveau inédit dans l’histoire économique contemporaine de l’Égypte. Cela à un moment où une partie des investisseurs égyptiens, arabes et étrangers a cessé de drainer des capitaux en Égypte et une autre a retiré ses capitaux pour les transférer à l’étranger à un moment où la situation du tourisme s’est détériorée, les revenus du canal de Suez et du pétrole ont sensiblement baissé et les réserves égyptiennes en devises se sont réduites à près de 15,5 milliards de dollars fin juillet 2016
Les signataires de ce message estiment que le chemin que prend le pouvoir exécutif est source de ruine étant donné qu’il a été choisi à partir d’une vision étriquée des possibilités de résoudre la crise socio-économique, déconnectée de la crise politique et uniquement basée sur les recommandations du FMI. (...)