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Éducation sexuelle : “Un fossé générationnel se creuse entre certains gynécos et la jeunesse”
"Une sexualité à soi" Laura Berlingo éd.Les arènes publié le 14 janvier 2021
Article mis en ligne le 14 janvier 2021

Dans son nouveau livre, “Une sexualité à soi”, la gynécologue-obstétricienne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière Laura Berlingo défend l’apport des réseaux sociaux dans l’éducation sexuelle et dans une construction moins “hors sol” de la médecine.

(...) Quelle est l’importance aujourd’hui des réseaux sociaux dans l’éducation sexuelle populaire ?

L’éducation sexuelle populaire, qui consiste à se réapproprier les savoirs liés à la sexualité, a toujours existé, avec le Planning familial par exemple. Les réseaux sociaux ont permis un accès à ces connaissances à grande échelle. Aujourd’hui, un post du compte « Orgasme et moi » sur Instagram, qui publie des témoignages sur la sexualité, engendre une discussion entre des milliers d’internautes. Chaque expérience, qu’elle soit négative ou positive, doit être entendue. En 2014, la libération de la parole des victimes de violences gynécologiques sur les réseaux sociaux a été essentielle pour nous, gynécologues. Quand, en 2016, des chercheuses ont représenté pour la première fois le clitoris dans son ensemble, cette image a inondé les réseaux sociaux. Ils permettent la co-construction du savoir médical avec la société.

Vous êtes vous-même très active sur Twitter et YouTube, pourquoi ?

Ces médiums permettent un aller-retour pour les professionnels de santé. J’y apprends beaucoup des militantes sur le racisme ou le sexisme car enjeux médicaux riment avec enjeux de société. Les médecins ont tendance à considérer que le racisme, les rapports de classe ou le sexisme s’arrêtent à la porte de leur cabinet, c’est faux. Il faut casser cette tradition de la médecine paternaliste, quitter notre monde jargonneux. Avec mon expérience de soignante, je participe aussi à cette vague féministe de réappropriation des savoirs médicaux. Je considère qu’une vidéo YouTube que j’anime vue par des milliers de personnes a la même valeur qu’une consultation.

“On est très en retard en France. Les enseignants ou éducateurs ne sont pas formés.” (...)

(...) Sur les réseaux sociaux, cette jeunesse s’est accaparé un champ lexical florissant autrefois apanage de la sociologie pour désigner le genre, les relations amoureuses…

Je suis épatée par cette génération qui s’est dotée d’une aisance à parler de sexualité et s’est armée de concepts pour s’exprimer sur l’identité de genre et le sexisme. Les réseaux sociaux m’aident à dialoguer avec elle, à suivre la marche. La contrepartie, c’est qu’un fossé générationnel se creuse entre certains de mes collègues gynécos plus âgés que moi, et cette jeunesse-là. Par exemple, le terme « cisgenre » [identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au genre assigné à sa naissance, ndlr] ne parle pas à tous… J’ai imaginé ce livre pour combler ce décalage. (...)

En parlant de différences générationnelles, vous commencez votre ouvrage en expliquant que la révolution sexuelle des années 1970 n’en était pas une. Pourquoi ?
Je ne suis ni historienne, ni sociologue, mais ce qui ressort de mon point de vue de soignante – et de celui des chercheuses –, c’est qu’en 1970 les féministes se sont fait voler leur idée initiale de la libération sexuelle. Le résultat n’a été finalement qu’une injonction à jouir, à multiplier les partenaires et à ne pas être exclusif dans le couple. Par ailleurs, ce terme pose problème, car qui dit « révolution » dit qu’il n’y a plus grand-chose à faire, à questionner. Aujourd’hui, le plus gros de l’éducation sexuelle ne doit pas se faire forcément auprès des jeunes, mais du côté des femmes adultes qui ont baigné dans ce présupposé.

La révolution sexuelle n’a pas eu lieu, alors est-elle en cours ?

Si, en 1970, il fallait coucher à tout-va, en 2020, les commandements somment de centrer absolument la sexualité sur le clitoris pour les femmes et sur la prostate pour les hommes… Mais une révolution sexuelle, ce n’est pas créer de nouvelles injonctions. C’est questionner les normes, les schémas préétablis et c’est ce que j’essaye de proposer dans mon livre. (...)