
Cet été 2016 aura été celui de tous les records : records de chaleur, certes, mais aussi records de peur, de fureur et de laideur.
Alors même que nous venions de nous faire enfiler dans les grandes largeurs par la loi « Travaille ! » (et surtout, « ferme-la ! ») et qu’il n’était pas possible de manifester notre légitime mécontentement pour des raisons de sécurité, d’effectifs, de calendrier ou de prurit anal, voilà que subitement la force publique trouvait tout ce qu’il fallait comme places, flics, moyens, voies de circulation pour réunir les foules transies dans l’adoration des Dieux du sport, à savoir une poignée de millionnaires capricieux en short qui courent après une balle.
Débarque un meurtrier de masse notoirement violent et déséquilibré dont la qualification de terroriste permettra fort commodément de prolonger l’état d’urgence pour toute la campagne présidentielle en voie de gestation avancée. Puis les Dieux du Stade, à savoir des types payés peau de balle qui se sont entrainés comme des tarés pendant des années pour une médaille en chocolat pendant que d’autres types assez peu au fait des saines valeurs du sport et de l’émulation se sont fait des milliards de dollars de profit sur leur dos et celui des habitants d’un pays qui n’avait pas besoin d’une calamité de plus. Le seul truc vaguement réjouissant, c’était de voir, pour changer, des tas de blancs bien nourris et bien équipés nager dans un océan de merde au sens littéral.
Déjà, un tableau bien pathétique des vacances d’été à côté duquel les épisodes caniculaires font l’effet de rafraichissantes plaisanteries.
Et voilà que pour ajouter une bonne rasade de kérosène sur les barbecs estivaux qui n’en demandaient pas tant, on nous sort le coup du burkini. (...)
l’ostracisation délibérée des femmes « visiblement » d’une religion particulière sous des prétextes fallacieux a pondu de gros œufs dans la masse des cerveaux disponibles et a surtout permis de tellement distordre le principe fondamental de la laïcité dans notre inconscient républicain jusqu’à l’inverser dans son application, que cette nouvelle attaque essentiellement antidémocratique est passée comme une lettre à la poste.
Le principe réel et concret de la laïcité tel qu’il a été clairement énoncé en 1905, c’est que l’État ne se mêle plus de religion et fout une paix royale à chacun de ses citoyens quant à ses croyances et ses pratiques, de telle sorte que nul n’a plus besoin de se cacher pour vivre à sa façon le culte (ou le total manque de foi) de son choix. Et que donc seul l’État et ses agents dans l’exercice de leurs fonctions doivent observer une totale neutralité quant aux questions religieuses. (...)
Et voilà qu’au nom de la foutue laïcité en peau de lapin, resaucée façon 2004, tranquillement, mais surement, on s’acharne à éjecter une partie de nos concitoyens — et plus spécifiquement (mais il n’y a là aucun hasard) de nos concitoyennes — de l’usage normal de l’espace et des services publics.
Avec comme un air de déjà vu…
" À partir de mai 1940, c’en était fini du bon temps, d’abord la guerre, la capitulation, l’entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les lois antijuives se sont succédé sans interruption et notre liberté de mouvement fut de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l’étoile jaune ; les juifs doivent rendre leurs vélos, les juifs n’ont pas le droit de prendre le tram ; les juifs n’ont pas le droit de circuler en autobus, ni même dans une voiture particulière ; les juifs ne peuvent faire leurs courses que de trois heures à cinq heures, les juifs ne peuvent aller que chez un coiffeur juif ; les juifs n’ont pas le droit de sortir dans la rue de huit heures du soir à six heures du matin ; les juifs n’ont pas le droit de fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux de divertissement ; les juifs n’ont pas le droit d’aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey ou à d’autres sports ; les juifs n’ont pas le droit de faire de l’aviron ; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public. Les juifs n’ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des amis après huit heures du soir ; les juifs n’ont pas le droit d’entrer chez des chrétiens ; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire ceci ou cela. Jacques me disait toujours : « Je n’ose plus rien faire, j’ai peur que ce soit interdit. »
Extrait du Journal d’Anne Franck du samedi 20 juin 1942, cité par la Revue des Ressources (...)
Il y a une telle hystérie en France, une telle radicalisation malsaine de la pensée, une telle appétence pour l’invective, la haine, la stigmatisation, qu’il devient difficile de juste penser.
Dans un premier temps, tu te dis : "Non, je ne vais pas marcher dans la combine, je ne vais pas ajouter de l’eau au moulin emballé qui brasse la merdasse, je ne vais pas me faire avoir par la stratégie de la muléta, me faire embarquer dans une polémique stérile pendant qu’il y a bien des choses plus graves à s’occuper et à débattre, les choses dont on veut nous détourner comme le chômage, l’explosion des inégalités et de la précarité, la dérégulation, la casse des droits sociaux, etc." Mais finalement, leur stratégie marche et elle se fait aux dépens de toute une partie de notre communauté nationale, elle se fait en nous montant encore plus les uns contre les autres et elle fait des dégâts. Dans nos esprits. Dans notre tissu social. Et dans la vie réelle des boucs émissaires du moment. (...)
Si je n’en parle pas, du coup, je me retrouve à les passer en pertes et profits, à les traiter comme quantités négligeables et je conforte les haineux dans leur idée que la faiblesse de l’opposition à leurs idées moisies est un aveu implicite qu’ils ont raison, qu’ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
Pile je perds, face, je l’ai dans l’os.
Attiser les bas instincts, c’est toujours le gambit gagnant, mais si je ferme ma gueule, au final, je valide.
Quelle merde !
Principe de liberté
On ne fait pas "le bien de quelqu’un contre sa volonté". On ne libère personne en le traquant et en le forçant à se conformer à la majorité. Prétendre ce genre de chose est soit d’une bêtise profonde, soit d’un cynisme assumé.
On n’a jamais libéré aucune femme en lui prescrivant sa façon de s’habiller, de se tenir, de se comporter, en lui assignant des espaces réservés et en restreignant son accès à l’espace public. Ceux qui le font dans d’autres pays sont généralement qualifiés de barbares par ici… Comme quoi, la barbarie comme la démocratie sont des notions à géométrie variable. (...)
le fait qu’on puisse imaginer que la manière de se vêtir d’une personne puisse porter atteinte à la liberté ou la sécurité d’une autre montre à quel point nous avons perdu de vue ce qui est constitutif d’une démocratie.
La conclusion, le mieux est de la laisser aux principales intéressées qui ont un message pour les démocrates coloniaux-nostalgiques : "Ne nous libérez pas, on s’en charge !"