
En guerre pour la paix, correspondance de Paul d’Estournelles de Constant et de Nicholas Murray Butler, 1914-1919 est une publication différente de tout ce que le Centenaire de la Grande Guerre a pu voir au niveau éditorial depuis 2014. Sont abordés ici des thématiques pacifistes et internationalistes qui tranchent avec les préoccupations des civils et des soldats de l’époque.
Les deux protagonistes de cet échange épistolaire sont issus des milieux bourgeois et philanthropiques et sont proches du pouvoir en France et aux États-Unis. Paul d’Estournelles de Constant est, en 1914, sénateur de la Sarthe et Nicholas Murray-Butler est le président de l’Université de Columbia à New-York. Ils font tous les deux partie d’une intelligentsia mondiale qui échange fréquemment sur des sujets divers.
Paul d’Estournelle de Constant a été prix Nobel de la paix en 1909 après une brillante carrière de diplomate, il a en effet œuvré pour le développement du droit international dans le cadre des différents traités de La Haye. C’est cette vision d’une certaine gouvernance mondiale qui transpire dans les lettres échangées avec Nicholas Murray-Butler. Paul d’Estournelle de Constant était une personnalité à part dans les élites dirigeantes françaises du début du XXème siècle : il était intimement atlantiste, contre la politique coloniale et en faveur d’un rapprochement franco-allemand, seul à même selon lui de stabiliser durablement l’Europe dans la paix. Autant de choix visionnaires, mais à contre-courant de la ligne politique française centrée alors sur l’Empire colonial et sur la revanche face à l’Allemagne. Paul d’Estournelle de Constant avait raison, avant l’heure, mais ses points de vue sur la politique mondiale étaient marginaux en 1914. (...)
Le Mouvement pour la Paix et de la Dotation Carnegie
En guerre pour la paix, correspondance de Paul d’Estournelles de Constant et de Nicholas Murray Butler, 1914-1919 est une partie inédite de l’histoire du mouvement pacifiste et internationaliste pendant la Grande Guerre. Peu étudiés, ces mouvements sont à l’origine de nombreuses idées reprises en 1919 par le président américain Wilson dans ses fameux « 14 points ».
La création de la Société Des Nations étant sans doute la plus importante mise en place au lendemain de la Grande Guerre de toutes les propositions faites par le Mouvement pour la Paix. La SDN est alors l’arbre qui cache la forêt car l’essentiel des idées pacifistes n’est pas intégré aux différents traités entre 1919 et 1923, qui sont avant tout là pour entériner un état de fait (l’Europe des vainqueurs) et non pas préparer une paix mondiale telle que l’auraient souhaités les deux philanthropes et tous les tenants du Mouvement pour la Paix. Dans le cadre d’un conflit en voie de totalisation, qui a mobilisé d’immenses ressources humaines et économiques pendant plus de quatre ans, les pacifistes étaient peu nombreux, d’où le faible nombre de travaux universitaires qui leurs sont consacrés. Nadine Akhund et Stéphane Tison ont donc ici le mérite d’étudier cet aspect relativement méconnu mais ô combien important, dans le cadre d’une histoire culturelle de la Grande Guerre.
La Dotation Carnegie est, elle aussi, largement méconnue en France. Fondée par le magnat américain de l’acier, Andrew Carnegie (qui était lui aussi un pacifiste, convaincu par les ravages qu’il a pu voir sur son pays au lendemain de la guerre de Sécession), la fondation éponyme est une organisation non gouvernementale qui fait partie de ces nouveaux acteurs d’une gouvernance mondiale encore embryonnaire. Il s’agit d’un réseau mondial formé de politiques et d’universitaires qui a pour ambition de devenir un lieu d’échange et une force de proposition dans les grands pays en faveur de la paix dans le monde. (...)