
Le défi que représente la restauration du bâtiment alimente aussi bien l’empressement gouvernemental, les projections les plus variées, que la prudence.
De la toiture de Notre-Dame ne reste plus que l’échafaudage qui en avait épousé la forme. Le chantier initié pour la réparer a déclenché l’incendie. Ce qui devait soigner a causé le désastre. C’est là sans doute, pour toutes les bâtisseuses et tous les bâtisseurs, le plus désolant des coups du sort.
Mais qu’à cela ne tienne. Résultat d’innombrables traits de crayon, coups de marteau, poutres hissées, pierres ciselées, chutes mortelles et élans de génie incorporés en elle au fil des rénovations, Notre-Dame vit au rythme du travail qui l’entretient à travers le temps. Voilà précisément ce dont témoigne sa présence au cœur de la cité : elle donne à voir une œuvre commune à plusieurs générations et plusieurs époques, sublimation du travail individuel dans l’ouvrage collectif, à laquelle des hommes et des femmes ont contribué en sachant qu’ils ne verraient pas l’aboutissement de leur labeur mais que d’autres le continueraient pour eux. (...)
. Ce qui est parti en flammes le 15 avril, c’est, entre autres choses, le résultat de cette longévité dans le travail commun.
Alors, bien plus qu’il ne marque une brisure ou nous envoie un quelconque signe de la providence, cet incendie est venu rappeler, dans notre présent qui est comme pétrifié par la vitesse de l’époque, que le temps continue de s’écouler et de produire son effet sur les choses que l’on croit éternelles. Et s’il a fait mourir un peu cet être vivant qu’est Notre-Dame, du même coup il nous force à accomplir notre part de soin, de génie et d’entraide, dans ce chantier toujours inachevé et sans cesse rouvert qu’est une cathédrale.(...)
On parle aujourd’hui de presser la reconstruction, de faire au plus vite. C’est ignorer crânement la source de cette beauté que l’on veut restaurer. C’est méconnaître le sens de cette œuvre que les siècles de travail, anonyme le plus souvent mais portant toujours la marque du soin, du génie et de l’entraide, ont donné en partage à l’humanité. (...)