
Les parlementaires ont finalement attribué au tribunal judiciaire la compétence de juger les recours intentés contre les multinationales au nom du devoir de vigilance. Jusqu’au bout, des entreprises des secteurs de l’extraction, des énergies fossiles et de l’armement ont bataillé contre cet amendement.
C’est la conclusion d’un feuilleton à rebondissements : les parlementaires réunis en commission mixte paritaire (CMP) jeudi 21 octobre ont finalement attribué au tribunal judiciaire – le tribunal civil anciennement appelé « de grande instance » – la compétence de juger les recours intentés contre les multinationales au nom du devoir de vigilance. Selon la formule finalement retenue pour l’article 34 du projet de loi « confiance dans l’institution judiciaire », et dans la version lue par Mediapart – en fin d’après-midi, le texte issu de la CMP n’était pas disponible sur le site de l’Assemblée nationale : « Le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance. » (...)
Deux semaines plus tôt, les sénatrices et sénateurs avaient voté un amendement attribuant ces litiges au tribunal de commerce de Paris. Plusieurs élu·e·s du groupe LR du Sénat avaient estimé que cette juridiction, spécialisée dans le contentieux du droit des sociétés, était susceptible de mieux connaître le fonctionnement des entreprises. Le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, présent en séance, avait protesté contre le vote de cet amendement : « Ne bradons pas les droits humains au profit du tribunal de commerce. »
Pour le député (PS) Dominique Potier, ancien rapporteur de la loi sur le devoir de vigilance en 2017, « Enfin ! C’est l’aboutissement d’un long combat initialement engagé dans la loi Climat et résilience. » À ses yeux, « la lutte contre l’impunité des entreprises multinationales ne souffre désormais plus d’ambiguïtés ».
Plusieurs ONG ont également salué la décision dans un communiqué : « Les parlementaires ont décidé de faciliter l’accès à la justice des personnes dont les droits sont menacés ou ont été violés du fait des activités de grandes entreprises françaises », affirment Action Aid, Les Amis de la Terre, Amnesty International, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Ethique sur l’étiquette et Sherpa. Et elles précisent : « Interviendront dès la première instance des magistrat·e·s professionnel·le·s, dont l’expertise en matière de droits humains est avérée, ce qui n’est pas le cas des juges consulaires, qui sont élus par leurs pairs parmi les commerçants et les dirigeants de sociétés commerciales. »
Le plan de vigilance de Total concernant ses activités pétrolières en Ouganda a fait l’objet d’une mise en demeure par Survie, Les Amis de la Terre et plusieurs ONG ougandaises, le 24 juin 2019. Puis ce collectif a assigné la multinationale en justice. Mais plus de deux ans après, ce recours n’a toujours pas pu être jugé sur le fond, car le législateur n’avait pas précisé quelle juridiction était compétente sur ces dossiers. (...)
Résultat : le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent, au profit du tribunal de commerce, décision confirmée par la cour d’appel de Versailles en décembre 2020. C’est la position défendue par Total et ses avocats : le devoir de vigilance relève selon eux du tribunal de commerce car il serait en lien direct avec la gestion de l’entreprise. C’est désormais le Cour de cassation qui doit tenir une audience à ce sujet le 3 novembre. (...)
De son côté, la cour d’appel de Versailles doit, elle, rendre son jugement le 18 novembre concernant un autre recours déposé contre le groupe pétrolier, cette fois-ci par des associations et collectivités territoriales pour inaction climatique. (...)
Chargée de campagne aux Amis de la terre, Juliette Renaud se réjouit de la décision sur le fond mais regrette ces interminables délais judiciaires (...)
Le 26 octobre, une autre grande multinationale française est convoquée devant le tribunal de Paris au nom du devoir de vigilance, pour une audience de mise en état : EDF, mis en cause par des habitant·e·s de l’isthme de Tehuantepec, au Mexique, pour ses projets d’éolien industriel qui les privent de terres communautaires et menacent leur environnement.