
« La très grande majorité des enfants colonisés sont dans la rue. Et celui qui a la chance insigne d’être accueilli dans une école n’en sera pas nationalement sauvé : la mémoire qu’on lui constitue n’est sûrement pas celle de son peuple. »
Albert Memmi,
Portrait du colonisé.
Lorsque la France a été évincée de certaines de ses colonies, elle leur a parfois réclamé le paiement d’une dette (...)
coloniale, en dédommagement des infrastructures créées par la puissance occupante. Comme en Haïti, au Togo et d’autres pays. En Guinée, en 1958, Sekou Touré refusa de payer. Toutes les infrastructures mises en place par le colonisateur furent détruites avant son départ.
Mais de quelles infrastructures parle-t-on ici ? De routes, chemins de fer, ports, destinés à permettre l’acheminement vers la métropole des matières premières du pays ? Ou bien, d’écoles, hôpitaux, logements, destinés à satisfaire les besoins des populations locales ? Nous donnerons ici un aperçu sur l’œuvre « bienfaitrice » de la colonisation française en matière d’éducation en Afrique.
Au Maroc, au tournant des années 1930, les écoles accueillaient 18 516 élèves européens et seulement 9 975 élèves marocains, parmi lesquels 2887 musulmans, pratiquement tous concentrés dans l’enseignement primaire et professionnel. Les quelques filles scolarisées apprenaient la broderie dans des ouvroirs. Au moment de l’indépendance, en 1956, 1,5 million d’enfants n’étaient pas scolarisés sur un total de quelques 2 millions [1]. Seuls 150 d’entre eux furent reçus au baccalauréat cette année-là. Quant à l’université, elle accueillait 350 étudiants marocains (dont 2 filles), tandis que les étudiants européens étaient au nombre de 1170, français pour l’immense majorité [2]. En Algérie, après 90 ans de domination française, ce sont à peine 31 % des enfants musulmans qui sont scolarisés.
En Afrique noire, le bilan est pire. (...)
Un bilan similaire aurait pu être dressé en ce qui concerne la santé, l’adduction d’eau, l’électrification, bref tout ce qui permet l’accès des populations aux services de base et à leurs droits fondamentaux. Cela en dit long sur l’œuvre civilisatrice de la France dans ses colonies et laisse perplexe sur les équipements qu’elle voulait faire payer aux pays nouvellement indépendants.
Depuis les indépendances, ces pays ont fait un effort considérable, avec des résultats souvent décevants il est vrai, pour monter un système d’éducation. Malgré cela, les taux d’analphabétisme continuent d’être importants, touchant souvent plus de la moitié de la population (88,5 % en Somalie). Et pourtant, ces mêmes pays doivent simultanément faire face à un chômage des jeunes diplômés et à une émigration importante de leurs cadres. Cette fuite des cerveaux correspond à la volonté des pays développés de faire appel à ce genre de main-d’œuvre, qui barrent l’accès aux études médicales et paramédicales. Il est fait un appel massif à des personnels étrangers, qui ne viennent donc pas remplacer une main-d’œuvre européenne potentiellement mobilisable, mais qui travaillent sous contrats précaires, moins payés et avec des conditions de travail plus dures. Ce faisant les économies européennes sont doublement gagnantes : elles n’ont pas à débourser les coûts de formation et elles bénéficient d’une main-d’œuvre flexible et payée au rabais.
Cette migration de main-d’œuvre qualifiée répond évidemment aussi au souhait de diplômés de haut niveau de bénéficier de meilleures conditions de travail et de vie, quand ils n’ont pas été obligés de fuir la répression politique et l’insécurité. (...)