
Des millions de personnes n’ont pas accès à un médecin. Alors que les déserts médicaux s’étendent, de plus en plus de soignants et d’élus demandent de réguler l’installation des praticiens libéraux, comme c’est le cas pour les pharmacies.
Laure Artru a débuté sa carrière de médecin rhumatologue il y a trente ans. Elle exerce au Mans, ville de 140 000 habitants et chef-lieu de la Sarthe. « Ça a été formidable pendant vingt ans. Puis est venu le problème de désertification, qui s’est encore aggravé depuis cinq ans. » Aujourd’hui, elle passe une partie de son temps à tenter de trouver un médecin traitant à ses patients et à organiser leurs soins de base. « Je vois toute la journée des gens qui sont en défaut de soin. Je regarde rapidement leurs questions rhumato et ensuite j’essaie de dépister tout ce qui n’a pas été fait faute de suivi. J’ai une patiente de 85 ans avec un traitement très lourd, à qui j’essaie de trouver un médecin traitant, et je me fais jeter de partout. Ce n’est pas tenable, elle aussi paie ses cotisations. Quand les gens ne trouvent pas de médecin traitant, ils renoncent à se soigner. »
Les déserts médicaux s’étendent partout en France. Même dans les villes. (...)
Entre six et huit millions de personnes vivent dans un désert médical [2]. Six millions de personnes sont sans médecin traitant [3].
Le difficile accès à un médecin, généraliste et encore plus aux spécialistes, « est un sujet qui préoccupe beaucoup de gens », affirme Maxime Lebigot. L’infirmier a fondé avec son épouse l’Association des citoyens contre les déserts médicaux. (...)
Laure Artru a rejoint cette association il y a deux ans. Sandrine Marchand, qui tient une pharmacie dans une commune du Tarn, a fait de même il y a quelques mois, « parce qu’on a frôlé la catastrophe ». (...)
Nous sommes en montagne. Castres se trouve à 45 minutes de voiture, Albi à une heure. L’hôpital le plus proche est à 50 minutes de route, le prochain médecin libéral à une demi-heure. La moitié de notre population n’a pas de médecin traitant. Une des conséquences, c’est que ces patients ne sont pas bien remboursés quand ils doivent aller chez des spécialistes. Donc, les gens renoncent à se soigner. C’est une catastrophe sanitaire annoncée ! » (...)
« Les kinés, les pharmaciens, les infirmiers, les sages-femmes n’ont pas la liberté d’installation »
Sandrine Marchand s’est installée avec son époux dans une petite commune rurale du Tarn alors que tous deux étaient originaires d’une grande ville, Toulouse. Au contraire des médecins libéraux, les pharmaciens ne peuvent pas ouvrir une officine là où ils veulent. Leur installation est strictement régulée, pour assurer le maillage territorial et l’accès aux médicaments partout. L’installation des kinésithérapeutes, des sages-femmes et des infirmières libérales est également soumise à des règles : elles et ils ne peuvent pas s’implanter dans des zones qui sont déjà trop dotées. Rien de tel n’existe pour les médecins libéraux. Des aides financières ont été mises en place pour tenter de les attirer vers les déserts médicaux, mais rien de contraignant. Les étudiants peuvent aussi bénéficier aussi de dispositifs de soutien financier : 1100 euros nets par mois en échange d’un engagement à exercer ensuite plusieurs années dans une zone sous-dotée. (...)
Malgré tout cela, la situation empire, et des voix s’élèvent de plus en plus pour demander la fin de la liberté d’installation des médecins. La Cour des comptes le préconisait déjà en 2017 : « La régulation des installations est une nécessité pour obtenir un rééquilibrage des effectifs libéraux en fonction des besoins de santé des populations sur le territoire », écrivait-elle dans un rapport sur « L’Avenir de l’Assurance maladie ». La Cour, chargée de contrôler le bon usage des fonds publics, jugeait que les dispositifs actuels de lutte contre les déserts médicaux, « qui jouent quasi exclusivement sur des incitations financières, ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux ». En plus d’être inefficaces, ces incitations, des collectivités, de l’État ou de l’Assurance maladie, s’empilent les unes sur les autres, rendant opaques leur coût global [4]. (...)
« Les kinés, les pharmaciens, les infirmiers, les sages-femmes n’ont pas la liberté d’installation. Pensons aussi aux magistrats, aux instituteurs. Eux n’ont plus ne choisissent pas où ils travaillent », défend Patrick Laine, médecin généraliste de 71 ans, tout juste retraité. Fils d’un généraliste et d’une pédiatre, lui avait « choisi de s’installer à la campagne », à Saulnot, village de moins de mille habitant en Haute-Saône. Avant de quitter son cabinet l’an dernier, l’homme a cherché pendant cinq ans une ou un collègue pour en prendre la suite. En vain. (...)
Le médecin retraité a fini par remettre en cause l’une des libertés de ses pairs : « Les professionnels de santé ne peuvent pas se contenter de revendiquer la liberté d’installation coûte que coûte », juge-t-il.
Députés et sénateurs de tous bords veulent réguler (...)
La question ferait-elle donc consensus ? Pas dans la profession.