
Lundi, Edouard Philippe s’est exprimé pour évoquer la réforme que le gouvernement entend mener au pas de charge et qui concerne le transport ferroviaire dans notre pays, donc la SNCF. Comme à l’accoutumée, le locataire de Matignon – s’appuyant sur le rapport Spinetta, rédigé par cet énarque ancien PDG d’Air France KLM – n’a eu de cesse d’affirmer que la réforme que Monsieur Macron et son gouvernement souhaitaient mener était un moyen de « moderniser » le transport ferroviaire pour aller vers plus d’efficacité qu’à l’heure actuelle. Fustigeant l’endettement de la SNCF, sans évidemment interroger une seule seconde les causes de cette dégradation, l’ancien maire du Havre a affirmé, presque sur un ton martial, qu’il n’hésiterait pas à avoir recours aux ordonnances pour mener à bien cette réforme.
Après s’être attaquée au code du travail, la caste au pouvoir entend bien continuer son funeste projet en démantelant – toujours sans le dire évidemment – le service public ferroviaire de notre pays. Pour être juste et honnête, l’attaque très rude portée par l’exécutif contre la SNCF et les cheminots est en réalité l’aboutissement de décennies où les gouvernements successifs ont sapé l’entreprise publique pour préparer la mise en concurrence voire sa privatisation. Le coup que veulent porter Emmanuel Macron, Edouard Philippe et leur majorité est donc à la fois un aboutissement mais également le climax d’une logique néolibérale qui s’attaque aux services publics de notre pays et donc in fine à notre République, notre Res Publica, notre chose commune.
Les services publics, partie intégrante du modèle social français
Comme l’a très bien noté Laurent Mauduit dans un excellent article sur Mediapart, nous avons pour habitude de placer les services publics en retrait du modèle social de notre pays. La doxa place, en effet, volontiers la Sécurité sociale au sens large – comprenant donc l’assurance chômage – au cœur dudit modèle social, déniant ainsi quelque peu l’importance des services publics. Pourtant, ceux-ci sont tout autant au cœur de notre modèle social, ils en sont même l’un des piliers. Comment affirmer vivre dans une République si l’Etat n’est pas présent uniformément et de manière égale pour tout le monde ? Les trois grands principes régissant les services publics dans notre pays sont en effet la continuité, l’égalité et l’adaptabilité. En ce sens, attaquer de la sorte la SNCF revient ni plus ni mois qu’à attaquer la République et de porter, si le projet de démantèlement va au bout, un coup quasi-fatal à la notion même de service public dans notre pays.
Déjà rudement mise à mal par la libéralisation du marché des autocars, l’égalité des Français quant au transport serait définitivement remisée au placard avec le projet du gouvernement pour la SNCF. Cette logique d’une France à plusieurs vitesses n’est évidemment pas réservée à la question des transports. (...)
Extension du domaine marchand
Parce qu’il ne faut pas se leurrer. Casser la SNCF et démanteler les services publics ne sont pas simplement le fruit d’une volonté de creuser les inégalités. La logique morbide qui a bien du mal à se dissimuler derrière la politique menée par ce gouvernement est d’étendre indéfiniment le domaine marchand. Les services publics étant l’un des derniers secteurs échappant largement à l’emprise de ce domaine, Macron et son gouvernement s’empressent de les livrer aux vautours n’attendant que ça. Si leur funeste projet est mené à bout, c’est à une véritable curée que nous allons assister et aucun service public ne sera épargné. C’est bien pour cela qu’il ne faut pas sombrer dans le piège de la division, j’y reviendrai.
Il serait mensonger de dire que cette extension du domaine marchand est soudaine. (...)
Le rapport Spinetta préconise notamment de supprimer un nombre conséquent de lignes parce qu’elles ne sont pas rentables, ignorant sans doute que le but premier d’un service public n’est pas d’être rentable. Il s’agit, en somme, de contenter le consommateur parisien qui veut ne pas être trop loin de sa maison secondaire tout en restant connecté dans le train et tant pis si cela veut dire que l’extrême-majorité des Français en pâtiront. Bienvenue dans le monde merveilleux du système marchand qui ne réfléchit que par le prisme de la rentabilité.
De la double pensée
Par-delà l’objet de la politique menée par ce gouvernement, sa volonté de démanteler la SNCF et d’ouvrir la voie à une privatisation massive des services publics, la méthode même utilisée est très révélatrice du moment politique que nous vivons. Lundi, en présentant la réforme, Edouard Philippe a affirmé que le gouvernement utiliserait les ordonnances et que cela permettrait une profonde concertation. Nous voilà jetés en plein milieu de 1984 devenu réel et d’un intense moment de double-pensée.(...)
La double-pensée est peut-être ce qui définit le mieux la présidence Macron. Dire quelque chose tout en faisant l’inverse est devenu une marque de fabrique du pouvoir. Précariser c’est protéger quand il s’agissait de casser le code du travail, démanteler le modèle social c’est moderniser quand il s’agit de creuser les inégalités, gazer et pourchasser les migrants c’est agir avec humanité quand il s’agit de mener une politique que le Front National ne renierait pas et donc mettre au pas le Parlement en passant par les ordonnances c’est mener une concertation. Il y aurait matière à franchement rigoler si la situation n’était pas si grave.(...)