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« Défendre nos droits est devenu un crime » : des paysans indonésiens contre le greenwashing de Michelin
Article mis en ligne le 10 juillet 2020

En Indonésie, deuxième pourvoyeur mondial de caoutchouc, la monoculture d’hévéa est présentée comme respectueuse de l’environnement et des producteurs locaux. L’arrestation récente d’un syndicaliste paysan témoigne d’une autre réalité, dans laquelle le pouvoir des grandes firmes prend appui sur les autorités locales. Parmi les entreprises impliquées, on trouve la française Michelin.

. Officiellement, on parle de « plantations de caoutchouc naturel », une jolie formule qui cache en fait, pour l’Union des paysans indonésiens, une appropriation à grande échelle des terres par ces entreprises. Cette plantation de caoutchouc, en monoculture, sur des forêts dites « dégradées » est financée par un partenariat entre plusieurs organisations internationales (ONU Environnement, le « Centre mondial d’agroforesterie »), la banque française BNP Paribas et l’investisseur ADM Capital, qui porte le nom de « Mécanisme de financement des paysages tropicaux » (« Tropical Landscapes Finance Facility »).

Au contraire d’une monoculture de caoutchouc, l’Union des paysans indonésiens veut œuvrer « pour la souveraineté alimentaire de la région » en structurant la production autour d’exploitations familiales, celles-là mêmes que menacent directement ces opérations d’accaparement et de « financement des paysages tropicaux » menées par des banques et des multinationales. Malgré le programme de réforme agraire du président de centre gauche de l’Indonésie, Joko Widodo, censé garantir la souveraineté des familles pour protéger la production alimentaire locale, les grandes entreprises n’hésitent pas à recourir aux expulsions des paysans. (...)

« Michelin a légitimé les actions d’accaparement des terres au nom du développement durable » (...)

Junawal, le représentant syndical de l’Union des paysans du département de Tebo depuis 2013, a été accusé d’avoir brûlé, le 14 mai 2020, des équipements appartenant à l’entreprise PT Lestari Asri Jaya. Il a été arrêté le 26 mai, deux jours après l’Aïd indonésien, alors qu’il rendait visite à sa famille. Ce père de deux enfants possède un jardin consacré aux cultures vivrières et une plantation de caoutchouc. Emmené au commissariat de police de Tebo, il n’a pas été remis en liberté. Le 10 juin, des milliers de paysans ont manifesté devant le commissariat, en vain. (...)

Son arrestation est un exemple parmi tant d’autres des interpellations et des détentions de paysans suites à des plaintes des compagnies qui exploitent les terres. Dans son cas, les permis obtenus par PT Lestari Asri Jaya ont purement et simplement ignoré la présence d’agriculteurs sur la zone, entraînant des conflits croissants depuis 2010. Pourtant, ces entreprise reçoivent le soutien du partenariat international porté par l’ONU. En 2018, l’entreprise Royal Lestari Utama a ainsi reçu 95 millions de dollars du projet Tropical Landscapes Finance Facility pour soutenir le « développement durable ». (...)

L’Asie du Sud-Est, principale productrice de caoutchouc naturel

Le caoutchouc naturel est une ressource renouvelable, mais la production contemporaine ne répond pas vraiment aux critères attendus d’une économie durable. (...)

La grande majorité du caoutchouc naturel du monde est produite dans les pays d’Asie du Sud-est. La Thaïlande et l’Indonésie produisent à elles seules plus de la moitié du volume mondial de récolte. En Indonésie, il convient de noter que le caoutchouc naturel est cultivé dans une plus large mesure dans de petites exploitations plutôt que dans les plantations à grande échelle. À Sumatra, la principale zone de croissance de l’Indonésie, les petits exploitants fournissaient encore il y a cinq ans plus de 80 % de la production.

Si Michelin communique sur sa production de pneus en caoutchouc naturel respectueux de l’environnement, on ne trouve guère d’informations sur « les conditions sociales et environnementales » supposées idylliques dans lesquelles elle se déroule. (...)

dans une enquête menée par un groupe de chercheur.ses allemand.es des universités de Kiel et de Göttingen, un fossé apparaît entre les discours et la réalité (...)

Comme par magie, les vieilles recettes de l’agro-industrie sont devenues « vertes », « inclusives » et « durables », à l’aune de quelques aménagements cosmétiques. Ces stratégies simplistes se heurtent, expliquent-ils, à la complexité de la réalité du terrain.

« Défendre nos droits est devenu un crime », résume Sarwadi Sukiman, coordinateur de l’unité régionale de l’Union des paysans indonésiens. Pour le syndicat, « la confiscation des terres des paysans commise par PT Lestari Asri Jaya est un acte de violation des droits des paysans, ces droits étant stipulés dans la Déclaration des Nations unies sur le droit des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. »