
Les visites de l’ancien puits, transformé aujourd’hui en pôle culturel et scientifique par la ville, sont assurées par l’association des anciens mineurs. Dans le public du jour, des éducateurs en environnement. Les souvenirs de Didier Veratti résonnent au milieu d’un immense hall blanc et gris béton. C’est l’ancien hall des mineurs. Les regards se lèvent pour observer les verrières. « Avant c’était tout noir ici, maintenant c’est beau et propre ! » Désormais, à l’étage, une vingtaine de start-up sont installées dans des bureaux. À terme, le site accueillera la Cité des sciences de la métropole Aix-Marseille et un restaurant panoramique, posé tout en haut de la tour. (...)
« On conserve notre patrimoine, ce décor, pour que les gens n’oublient pas, mais on pense aussi valorisation de cette histoire », dit Nicolas Fortuit, le directeur de la Société d’aménagement de Gardanne (la Semag), qui accompagne les visiteurs ce jour-là.
La valorisation, par exemple, des anciennes galeries minières, qui ont été remplies d’eau au moment de la fermeture de la mine. 35 millions de m3 d’eau ont ainsi permis la mise en place du premier réseau d’énergie d’Europe basé sur les eaux de mine de charbon. Une géothermie qui alimente en chauffage et climatisation les quatorze hectares de cet éco-quartier depuis deux ans. (...)
Gardanne, sa mine de charbon, sa centrale, sa production d’alumine… Il y a 50 ans, la ville était un fleuron de l’industrie française.
Aujourd’hui, on évoque plutôt les dégâts environnementaux causés par ces usines. Sur place, les locaux sont partagés entre la nostalgie d’une époque glorieuse, le besoin d’emplois et les désirs d’un avenir plus vert.(...)
Difficile aujourd’hui d’imaginer ce métier qui semble d’un autre âge. Celui des gueules noires, de Germinal, et des coups de grisou. Mais pour Didier Veratti, pas de mauvais souvenirs. « On était accros à la mine ! On vivait pour la mine, et par la mine. On avait la sécurité de l’emploi, on était logés, on nous payait le médecin… C’était vraiment de bonnes conditions. » La nostalgie l’habite, voire les regrets. « Je n’ai pas pu transmettre ce que j’ai appris. »
« On a tous ici du sang de mineur qui coule dans nos veines, c’est dans notre ADN »
Didier Veratti aurait rêvé que ses enfants travaillent à la mine. « Si mon fils était entré ingénieur, j’aurais été fier. Ce que les anciens nous ont transmis, ça s’est perdu. » D’autant que les anciens collègues qui accompagnent Didier en sont convaincus, « le charbon, on y reviendra, c’est la ressource naturelle la mieux répartie au monde ». (...)
Mais quid des panneaux photovoltaïques installés sur un ancien terril par la municipalité ? Et quid de la géothermie vantée quelques minutes auparavant par Nicolas Fortuit ? À l’ombre du puits Yvon-Morandat, il semble que la mémoire minière résiste aux désirs de modernisation de la ville.
« Je veux respirer mais je veux aussi pouvoir manger, et pour ça, il faut travailler »
« On s’est battus jusqu’à la fermeture, et quand la mine a fermé, j’ai compris le désastre de la désindustrialisation. À la centrale, c’est pareil, ils vont se battre jusqu’au bout. Mais si le gouvernement veut se donner les moyens de dépolluer, il les a. »
Or des moyens, il en faut. Parmi les propositions faites par la CGT pour maintenir l’unité 5 (l’unité 6 fonctionnant à la biomasse n’est pas directement menacée), il y a « un projet global pour une plateforme énergétique », explique Nadir Hadjali. Avec d’un côté du captage, stockage et valorisation du CO2, en baissant notamment la puissance de l’unité (de 600 à 280 MW) — c’est le projet dit « du charbon propre » — et de l’autre côté, pour alimenter le tout, une « unité de valorisation des déchets, avec des déchets qui sont impossibles à trier ou à récupérer comme les déchets humides, qui seraient brûlés ». Le projet suscite cependant beaucoup de critiques de la part des riverains et des associations environnementales qui craignent la pollution de ce qu’ils voient comme un incinérateur.
Autre problème, le coût aujourd’hui estimé pour ces investissements et ces technologies
Si les « anciens » semblent inquiets pour leur progéniture, les « jeunes » eux, sont plutôt optimistes. Et ils n’imaginent pas forcément leur avenir à Gardanne. Ni la pluie ni le froid glacial n’ont découragé Yanis, 13 ans, venu marcher aux côtés de sa maman, Nahima, employée municipale. Fille d’employés de la centrale, elle défend elle aussi corps et âme toutes les industries de Gardanne, et aime se rappeler « les manifs sur les épaules de [s]on père ».
L’adolescent, lui, semble davantage tourné vers l’avenir. Il est venu protester contre la réforme des retraites, mais « la centrale, ça ne me concerne pas trop ». (...)
Une Gardanne divisée donc. Plus qu’un conflit générationnel, deux visions du monde s’opposent. Il y a ceux qui pensent pouvoir maintenir l’industrie, avec des évolutions techniques qui permettraient de moins polluer. Et ceux qui veulent définitivement tourner la page industrielle. (...)
Jean-Luc Debard est membre de l’association Convergence écologique du Pays de Gardanne (CEPG). Cet électricien de formation de 64 ans est, lui aussi, petit-fils de mineur et ancien mineur lui-même. « À l’époque, se défend-il, le problème des mines de charbon n’était pas flagrant. » Convaincu aujourd’hui que la ville doit évoluer, il milite vigoureusement pour qu’on rase la centrale, l’unité au charbon comme celle à biomasse. « C’est une hérésie écologique, une hérésie financière, et même une arnaque pour les salariés en déshérence. On brûle des arbres, on rejette du CO2, et après on nous dit qu’il faut trouver une façon de stocker ce CO2… mais les arbres font ça tout seul très bien ! Ils le font gratuitement, depuis des millénaires ! »
Jean-Luc Debard, membre de Convergence écologique en Pays de Gardanne.
Pour ce Gardannais, qui habite une maison avec une vue imprenable sur la centrale, on pourrait transformer les emplois de l’industrie en emplois agricoles. D’autres membres d’associations expriment leur ras-le-bol de ce conflit qui n’avance pas. « Je n’ai même plus envie d’aller me balader dans le centre-ville, dit l’un d’entre eux. On m’interpelle parce que je suis contre la centrale, mais je ne suis évidemment pas pour que ces gens perdent leur travail. Il s’agit juste d’évoluer vers autre chose. »