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Décroissance et préjugés
#décroissance
Article mis en ligne le 15 novembre 2022

Voilà deux ans que j’ai commencé à travailler sur la décroissance et le moins que je puisse dire c’est que je ne connais pas un terme plus galvaudé que celui-ci. Chaque fois que j’évoque le sujet, les mêmes critiques refont surface :

‘ Ah ouais on a bien vu à quoi ça ressemblait la décroissance en 2020’
‘ Tu veux être confiné toute l’année c’est ça ?’
‘ Super ton projet de société, tout le monde à la lampe à l’huile comme les Amish !’

Si vous pensiez que les choses avaient changé en 2021, que les français.es allaient s’exprimer sur un sujet en ayant fait des recherches avant et avoir une honnêteté intellectuelle à toute épreuve, j’ai une mauvaise nouvelle

Le problème, c’est que des personnalités très influentes ont exactement le même discours, et sont entendues par des milliers (voire des millions) de personnes. Je fais bien sûr référence à E. Macron qui déclarait devant les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat ‘le choix de décroissance n’est pas une réponse au défi climatique‘, à F. Lenglet qui la compare à ‘l’économie du confinement‘ ou encore à Luc Ferry qui (dans une de ses 150 tribunes dans le Figaro) essaye de nous vendre sa croissance infinie.

Plutôt que de répondre à chaque personne une à une, voici quelques clarifications sur la décroissance : ce que la littérature nous dit, et surtout ce qu’elle ne nous dit pas.

Qu’est-ce que la décroissance ? (...)

réduire la production et la consommation pour limiter les dégâts sociaux et environnementaux. (...)

un ralentissement et un rétrécissement de la vie économique au nom de la soutenabilité, de la justice sociale, et du bien-être. C’est bel et bien une révolution par rapport au système économique actuel, fondé sur une expansion perpétuelle et disproportionnée qui ne profite qu’à une minorité.

Pourquoi la décroissance est nécessaire ?

Pouvons-nous continuer dans le système actuel ? La réponse est non. La civilisation humaine dépasse actuellement un certain nombre de limites planétaires et fait face à une crise multidimensionnelle de dégradation écologique, avec notamment une acidification des océans, une déforestation continue à l’échelle mondiale, un réchauffement climatique qui a déjà des impacts (y compris en France) et un effondrement de la biodiversité. Ce sont des faits incontestables qui sont désormais bien sourcés dans la littérature scientifique (notamment par le GIEC et l’IPBES), et plus vraiment le cri d’alarme de 2-3 activistes écologiques qu’une partie des médias adore moquer.

Quelles solutions face à cela ? (...)

un point essentiel : un découplage absolu, NET et long terme avec -7.6% d’émissions de CO2eq/an (tout en gardant de la croissance !) n’est jamais arrivé et n’arrivera probablement jamais. Les contraintes à la fois de temps (neutralité carbone en 2050) et de budgets carbone, que cela soit pour limiter le réchauffement à +1.5 ou +2 degrés, rendent cette croissance verte extrêmement improbable.

Enfin, la préservation de l’environnement et du climat n’est pas qu’une affaire de CO2. S’occuper uniquement du CO2 oublie des éléments absolument clefs pour une société soutenable et souhaitable, à l’instar de l’effondrement de la biodiversité (et toutes les autres empreintes concernées) et autres indicateurs sociaux concernant les inégalités et la pauvreté.

Sans miracle technologique, une seule option

Dans la mesure où mis à part un miracle technologique viendrait rendre cette croissance verte possible, la seule façon de respecter les limites des budgets carbone est que les pays riches ralentissent activement le rythme de production et de consommation de matériaux. Encore une fois, ce n’est pas une fabulation mais une constatation à la lecture du rapport 1.5 du GIEC.

Comme le souligne très justement Hickel, il est important de préciser que la décroissance ne vise pas à réduire le PIB, mais plutôt à réduire le débit. D’un point de vue écologique, c’est ce qui compte. Bien sûr, cette réduction du débit est susceptible d’entraîner une réduction du taux de croissance du PIB, voire une baisse du PIB lui-même. C’est ce que cherche à faire la décroissance : tendre vers une société soutenable de la façon la plus juste et équitable possible. (...)

il est important de clarifier tous les malentendus pour que l’idée se démocratise et ne se limite pas qu’à un débat entre universitaires.

Décroissance ou récession ? (...)

c’est bel et bien le mot ‘croissance’ qui pose ici problème. Au lieu de vouloir à tout prix de la croissance, nous devrions nous demander pourquoi nous courrons après. En effet, elle ne permet ni de réduire les inégalités ni la pauvreté en France depuis 30 ans (Piketty, 2013). Malgré une soit-disant ‘ère numérique’, la croissance n’a jamais été aussi matérielle : elle traduit tristement notre besoin frénétique de biens matériels via la consommation. (...)

Si nous avons deux mots différents pour désigner la récession et la décroissance, c’est tout simplement car ce sont deux choses différentes. Les récessions se produisent lorsque les économies dépendantes de la croissance cessent de croître. C’est une catastrophe qui ruine la vie des gens et exacerbe les injustices. La décroissance est un projet de société et appelle à un tout autre type d’économie. Une économie qui n’a pas besoin de croissance en premier lieu (tout en pouvant en avoir), et qui peut apporter la justice et le bien-être même si la consommation d’énergie diminue. (...)

1- La décroissance est une politique planifiée et cohérente visant à réduire l’impact écologique, à diminuer les inégalités et à améliorer le bien-être. Les récessions ne sont pas planifiées, et ne visent aucun de ces résultats. (...)

2- La décroissance introduit des politiques visant à prévenir le chômage, voire à améliorer l’emploi (...)

3- La décroissance vise à réduire les inégalités et à répartir plus équitablement les revenus nationaux et mondiaux (...)

4- La décroissance vise à développer les biens et services publics universels, tels que la santé, l’éducation, le transport et le logement, afin de rendre accessible les biens fondamentaux dont les gens ont besoin pour mener une vie prospère. Les récessions impliquent généralement des mesures d’austérité qui réduisent les dépenses dans les services publics.

5- La décroissance fait partie d’un plan visant à réaliser une transition rapide vers des énergies bas carbone, à restaurer les sols et la biodiversité, et à inverser la dégradation écologique. (...)

il est important de rappeler que la décroissance n’est pas le contraire de la croissance (...)

c’est bel et bien le mot ‘croissance’ qui pose ici problème. Au lieu de vouloir à tout prix de la croissance, nous devrions nous demander pourquoi nous courrons après. En effet, elle ne permet ni de réduire les inégalités ni la pauvreté en France depuis 30 ans (Piketty, 2013). Malgré une soit-disant ‘ère numérique’, la croissance n’a jamais été aussi matérielle : elle traduit tristement notre besoin frénétique de biens matériels via la consommation. (...)

“Les décroissants sont anti-progrès et anti-technologie ! “

Argument à la mode lorsque l’on débat sur la 5G, la décroissance serait anti-technologie, anti-recherche, anti-progrès. C’est tout simplement une grosse bêtise. (...)

Très souvent, les personnes avançant ces arguments sont des personnes qui ne font pas la différence entre innovation et progrès. (...)

Outre cette confusion entre innovation et progrès, la décroissance n’est ni ‘anti-recherche’ (j’imagine la tête des membres de Research & Degrowth quand ils entendent cela) ni anti-technologie. Il s’agit avant tout de réfléchir à l’usage de la technologie, son intérêt sociétal et à son potentiel destructeur. La 5G est un excellent exemple : il ne s’agit pas d’être anti 5G mais de questionner son usage et son intérêt. Je n’ai vu personne (ni gouvernement ni entreprise) donner un rationnel prenant en compte l’impact écologique de cette technologie. Il n’est plus possible aujourd’hui de continuer cette course en avant technologique sans en questionner l’impact.

Aussi, il est également évident que certaines technologies existantes n’auront pas leur place dans une économie décroissante et qu’il faudra tout simplement les changer, voire les abandonner. (...)

Responsabilité historique et injustice climatique (...)

En réalité, les partisans de la décroissance affirment clairement que ce sont précisément les pays riches qui ont besoin de décroître, à l’instar de la France dont l’empreinte carbone doit être divisée par au moins 5 dans les 30 prochaines années : (...)

Bien sûr, au-delà des diatribes ridicules à la Luc Ferry ou Laurent Alexandre, certaines critiques sont légitimes et permettent aux chercheurs spécialisés de continuer de progresser sur la question : comment organiser la décroissance en Union Européenne ? Cela est-il possible sans être géopolitiquement à la merci des autres pays ? Comment rembourse-t-on la dette française dans un pays qui sera sans doute d’abord en récession ? Quelle indépendance de notre monnaie et pouvoir monétaire ?

Ce sont ces sujets sur lesquels nous devrions débattre. La décroissance et notre avenir méritent mieux que des caricatures.