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Débrancher Vincent ?
par Sylvain Rakotoarison jeudi 4 juin 2015
Article mis en ligne le 4 juin 2015

« Reims, 29 avril 2013. Le plus gros choc de ma vie. Je suis au chevet de mon fils. (…) Vincent n’a rien mangé depuis vingt jours. (…) Il est là, devant moi, dans un lit d’hôpital à Reims, amaigri, affaibli, et il va mourir. Dans un jour ? Dans cinq jours ? Je ne sais pas… Mais il va mourir parce que quelqu’un l’a décidé. Un médecin lui a supprimé toute nourriture, presque toute hydratation, pour le mettre sur un chemin de "fin de vie". Je parle à Vincent, mais il ne peut pas me répondre : il est en "état de conscience minimale", comme le disent les spécialistes. Il peut ressentir des émotions, mais il est incapable de s’exprimer. Il me regarde, et il pleure. Des larmes coulent le long de ses joues. Il va mourir. Il souffre, je le sais : je suis sa mère ! » (Viviane Lambert, le 7 mai 2015).

Je reviens sur la situation très douloureuse de Vincent Lambert. Elle avait été très médiatisée au printemps de l’année dernière et elle va le redevenir très prochainement (hélas pour lui et sa famille) car une décision très importante de la Cour européenne des droits de l’Homme va être rendue publique ce vendredi 5 juin 2015. Il aura fallu une année pour que cette instance supranationale statue sur une situation de vie ou de mort.

Une affaire de justice qui mine la vie d’une famille

Vincent Lambert a été victime d’un accident de la circulation le 29 septembre 2008 et est soigné depuis le 16 novembre 2011 au CHU de Reims (l’hôpital Sébastopol).

Je reviens très succinctement sur l’aspect judiciaire : au printemps 2013, le médecin de Vincent Lambert a convaincu la jeune épouse de Vincent d’arrêter l’alimentation et de réduire l’hydratation à partir du 10 avril 2013, sans en informer les parents (le père de Vincent venait par ailleurs d’être hospitalisé à Marseille pour une opération du cœur). L’épouse a témoigné d’une volonté d’en finir dans un pareil cas alors que pendant cinq ans, elle n’avait jamais évoqué cette supposée volonté dont il ne reste aujourd’hui aucune preuve. Pendant plusieurs semaines, Vincent Lambert a lutté pour ne pas mourir et le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ordonné le 11 mai 2013 de reprendre l’alimentation à la demande de ses parents qui sont, eux, fermement opposés à l’arrêt de l’alimentation. Le 16 janvier 2014, le même tribunal administratif a annulé la seconde tentative de l’hôpital d’arrêter l’alimentation, mais après un recours de son épouse fortement encouragée par la ministre Marisol Touraine, le Conseil d’État a infirmé le 24 juin 2014 la décision du tribunal administratif sans tenir compte de l’avis des trois spécialistes mandatés à cet effet, qui ont mené des examens approfondis sur Vincent du 7 au 11 avril 2014 et qui ont fait part de leur ferme opposition à le faire mourir car il n’y avait aucune "obstination déraisonnable". Cette décision a pourtant ouvert la voie rapide d’un nouvel arrêt de l’alimentation. Pour s’y opposer en urgence, ses parents ont alors fait un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, dans un premier temps, a immédiatement demandé de poursuivre l’alimentation le temps d’étudier le fond de la situation. Dans un second temps, après l’audience du 7 janvier 2015, la Cour européenne va rendre public son avis sur le fond le 5 juin 2015 en confirmant ou infirmant la décision de l’instance administrative suprême de la France.

Une décision sur la vie ou la mort d’une personne

Ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit ici de décision de justice sur la vie ou la mort d’une personne, et qu’il ne s’agit en France que de la justice administrative, qui n’est évidemment pas préparée à prendre des décisions d’une telle importance, où la vie d’une personne est en jeu. Ce ne sont pas des cours d’assise à l’époque où la peine de mort était encore applicable.

Curieusement, il en est aujourd’hui de même en Indonésie pour la situation très précaire et cauchemardesque de Serge Atlaoui, condamné à mort, qui cherche à échapper à son exécution par un recours devant, là aussi, une cour administrative (l’audience vient d’être à nouveau reportée au 8 juin 2015).

Trois raisons d’être choqué par la décision du 24 juin 2014

Mais revenons à la situation de Vincent Lambert. La décision du Conseil d’État m’avait particulièrement choqué pour au moins trois raisons. (...)

La première raison de fond sur la valeur de la vie humaine et son "utilité" malgré un état de santé très faible (à partir de quel seuil de faiblesse faudrait-il éliminer les plus faibles ?), ce qui contredit toutes les valeurs de solidarité nationale.

La deuxième raison, et c’est l’objet de cet article, c’est que la personne concernée n’est ni malade ni en fin de vie et que la loi Leonetti du 22 avril 2005 ne peut donc pas s’appliquer à sa situation.

Enfin, la troisième raison moins morale mais de logique et de bon sens, qui veut que si deux très proches de la personne concernée, à savoir son épouse et ses parents ne se sont pas mis d’accord (qui de l’épouse ou de la mère peut le mieux le représenter en l’absence de toute autre consigne ?), dans l’impossibilité de connaître la volonté actuelle de la personne, aucune action définitive, irréversible ne devrait pouvoir être entreprise dans tous les cas : ni l’euthanasie ni le suicide assisté ne sont aujourd’hui autorisés et ces deux actes s’apparentent à un assassinat ou à une complicité d’assassinat. (...)