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Mediapart
Déboulonnage de la statue d’un marchand d’esclaves à Bristol : les accusés acquittés
Article mis en ligne le 7 janvier 2022

Quatre jeunes jugés à Bristol, ville du sud-ouest de l’Angleterre, pour avoir déboulonné et jeté dans les docks la statue d’Edward Colston, un ancien marchand d’esclaves encensé comme un héros local après sa mort, ont été acquittés par un jury. Un jugement salué par leurs soutiens et condamné par les conservateurs.

Ils sont sortis du tribunal mercredi soir, le poing levé, acclamés par des soutiens et leurs familles. Les « Colston 4 », comme la presse les a nommés, ont été acquittés par le tribunal de Bristol Crown Court. Tous, trois hommes et une femme, âgés de 22 à 33 ans, originaires de Bristol, étaient accusés de vandalisme.

Le 7 juin 2020, lors d’une manifestation en soutien au mouvement Black Lives Matter, ils avaient renversé de son socle la statue d’Edward Colston, située sur une place du centre-ville, pour ensuite la traîner vers les docks, puis la jeter du haut du pont de Pero, seul monument de Bristol nommé en l’honneur d’une personne victime de l’esclavage.

« Nous n’avons pas changé l’histoire, avait dit à l’audience l’un des accusés, Sage Willoughby, 22 ans. Nous l’avons rectifiée. C’est une victoire pour Bristol, c’est une victoire pour l’égalité. » (...)

Edward Colston était un marchand bristolien qui a vécu au XVIIe siècle. Il a été érigé en héros et philanthrope local par les Victoriens, cent cinquante ans après sa mort. « Il a été pendant deux ans le numéro deux de la Royal African Compagy, qui avait le monopole de la traite des esclaves en Angleterre, explique Roger Ball, historien de Bristol et l’un des experts auxquels les avocats des accusés ont fait appel pour les aider dans la mise en contexte du personnage historique. Pendant cette période, près de 85 000 Africains ont été kidnappés et réduits en esclavage, et 19 300 d’entre eux sont morts sur les bateaux de sa compagnie. »

Vers la fin de sa vie, Edward Colston a investi beaucoup de son argent – gagné notamment grâce à la traite – dans Bristol. (...)

Des représentants locaux et des citoyens ont régulièrement demandé à la mairie de retirer cette statue, mais elle s’y est toujours refusée. (...)

« Imaginez avoir une statue d’Hitler à portée de vue d’un survivant de l’Holocauste. J’estime que c’est quelque chose de similaire » Sage Willoughby, l’un des quatre relaxés (...)

Le jury a finalement estimé qu’« aucun crime n’a été commis » ce 7 juin 2020 et a acquitté les quatre accusés. Une décision accueillie par des cris de joie dans les tribunes publiques de la salle d’audience.

Ros Martin a salué « la victoire de la justice ». « Les jurés ont estimé que l’action était proportionnelle à l’offense que cette statue causait. »

Mais, rapidement, les politiques ont condamné ce verdict. Plusieurs députés conservateurs ont estimé qu’il était « pervers ». « Nous avons parfois des décisions provenant d’un jury qui contredisent la loi et les preuves », a dit sur la BBC Robert Buckland, ancien ministre de la justice. Le ministre des transports, Grant Shapps, a quant à lui affirmé sur Sky News que le « Royaume-Uni ne doit pas être un pays où le vandalisme est acceptable ». Il estime que la loi nommée « Police, crime, condamnation et cour de justice » devrait « combler ce manquement ». (...)

Pour l’historien Roger Ball, il est « ridicule de proposer une sentence qui peut-être plus sévère que celle punissant une agression physique ou sexuelle ». Il ne croit pas non plus le tabloïd de droite Daily Express, qui estime que cet acquittement est « un feu vert pour la foule » et un « précédent d’une extrême dangerosité ».

« Aucune autre statue n’a été déboulonnée après celle de Colston », rappelle l’historien. En revanche, selon un décompte du journal de gauche The Guardian, dans les six mois qui ont suivi cet événement, « soixante-dix pièces rendant hommage à des marchands d’esclaves, des colonialistes et des racistes » ont été retirées par les autorités compétentes. De nombreuses institutions privées et publiques ont aussi depuis engagé des historiens et des archivistes pour explorer leur passé.

La statue déboulonnée se trouve maintenant dans un musée de la ville, couchée et toujours taguée. Elle n’a pas été restaurée par choix, le musée estimant que son état actuel fait partie de son histoire. (...)