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la vie des idées
De l’impérialisme linguistique
par Emmanuelle Loyer , le 22 février - Pascale Casanova, La Langue mondiale. Traduction et domination, Paris, Seuil, « Liber », 2015, 144 p., 18 €.
Article mis en ligne le 26 février 2016
dernière modification le 22 février 2016

L’anglais, nouvelle langue mondiale, domine après le français au XVIIIe siècle. En sociologue, Pascale Casanova montre que l’usage de la langue mondiale assure une autorité à ceux qui le maîtrisent. Mais que faire, puisqu’une langue mondiale doit exister pour permettre une communication universelle ?

Il y a plus de quinze ans, en 1999, Pascale Casanova avait pris à rebrousse-poil la vision enchantée du monde littéraire et montré, exemples à l’appui, que la République des lettres était un champ mondial de fabrique de l’universel, avec ses centres et ses périphéries, son « méridien de Greenwich » et ses luttes concurrentielles.

De la langue de la littérature à la langue tout court, l’auteur poursuit sa réflexion avec le même puissant effet dégrisant : la bonne conscience contemporaine mais aussi la linguistique formelle postulent l’égalité entre les langues dont la diversité est un bien précieux, à préserver – bien qu’en fait, des dizaines de langues meurent tous les ans. Or, aujourd’hui comme hier, il y a une langue mondiale, support de communication universelle, des langues centrales, des langues périphériques, toutes s’efforçant d’exister sur la scène internationale. L’intérêt de ce petit livre percutant, inséré dans une collection de combat, repose sur la clarté de ses postulats épistémologiques, le tranchant de l’analyse face aux propos souvent lénifiants sur la question, enfin sur l’honnêteté de ses conclusions.

Le lecteur français, amoureux des langues, mais soumis à des injonctions répétées de pratiquer l’anglais sur son lieu professionnel comme dans la rue, se reconnaîtra dans les paradoxes que met au jour Pascale Casanova. Il pourra même en tirer une sorte de morale linguistique pratique. (...)

Cette sociologie historique des échanges linguistiques, menée tambour battant sous les auspices de la pensée de Pierre Bourdieu, recèle bien des surprises et exerce un véritable pouvoir de dévoilement. Ainsi, la langue mondiale n’est pas nécessairement celle du pouvoir économique ou militaire. Les Romains dominent longtemps le monde antique, alors que le grec reste la langue des élites pratiquant un bilinguisme concret. De même, le français demeure jusqu’au début du XXe siècle la langue des échanges internationaux, alors que l’Empire britannique est au faîte de sa puissance. (...)