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La vie des idées
De l’esclavage à Black Lives Matter Un musée d’histoire africaine-américaine
Article mis en ligne le 21 juin 2020
dernière modification le 20 juin 2020

Inauguré par le président Obama il y a un an, le Musée d’histoire et de culture africaine-américaines satisfait une revendication mémorielle de la communauté noire : que son histoire soit racontée à l’ensemble de la nation dans un musée situé en plein centre de la capitale fédérale. La manière dont cette histoire est racontée pose cependant question.

La construction du NMAAHC est symptomatique de la plus grande reconnaissance de l’histoire africaine-américaine dans l’histoire des États-Unis. De façon parfois paradoxale, le musée expose ainsi au public les profondes réévaluations historiographiques des dernières décennies. Dans un contexte racial très tendu, cette entreprise relève d’une ambition aussi bien scientifique que politique.(...)

À quelques centaines de mètres, le monument en l’honneur de Martin Luther King avait déjà été inauguré par Barack Obama en octobre 2011. En moins de 5 ans, deux lieux de mémoire spécifiquement consacrés à l’histoire africaine-américaine ont ouvert sur le Mall.

La forme extérieure du musée, inspirée des traditions architecturales africaines et africaines-américaines, présente visuellement la nature de son projet. La silhouette du NMAAHC fait en effet référence à la couronne des colonnes de la sculpture traditionnelle yoruba et contraste avec le style néo-classique des bâtiments de marbre blanc alentours, qui célèbrent la grandeur de la Grèce et de la Rome antiques, et dont certains comme la Maison-Blanche furent construits par des esclaves. De même, les motifs entrelacés sur les panneaux de la façade du musée s’inspirent de la ferronnerie des noirs esclaves et libres de Charleston, Savannah et La Nouvelle-Orléans. Pour son architecte, David Adjaye, la forme même du NMAAHC invite à reconsidérer les liens historiques entre Amérique et Afrique et la place centrale de l’histoire africaine-américaine dans l’histoire des États-Unis (...)

le musée a bénéficié d’un engouement civique inouï de la part d’une partie de la population américaine. Des millions de donateurs, célèbres ou anonymes, appartenant notamment à la classe moyenne africaine-américaine, ont offert au musée de l’argent et des objets personnels, souvent de grande valeur. En conséquence, les collections rassemblées sont très riches (...)

L’ampleur de ces donations ne doit cependant pas laisser croire à un engouement sans réserve pour le musée.

Une critique de l’histoire nationale

Le musée pose une question simple : que signifie être noir aux États-Unis ? Pour y répondre, le parcours propose un récit chronologique depuis la déportation d’Afrique, doublé d’un récit thématique avec des galeries spécialisées, notamment consacrées à la musique et au théâtre, à la télévision, au cinéma, au sport, à l’armée. Le parcours muséographique s’appuie sur le travail, désormais considérable, des historiens qui, depuis le Mouvement pour les droits civiques, ont profondément renouvelé l’histoire africaine-américaine .(...)

en mettant les Africains-Américains au cœur de l’histoire des États-Unis, le NMAAHC offre une critique radicale de l’histoire de la nation. (...)

Cette perspective détruit le mythe de la « trahison » des idéaux de la Révolution américaine par l’esclavage et soutient qu’en réalité, des notions comme la liberté, l’égalité, les droits de l’homme, furent pensées comme des privilèges accordés à la population masculine libre d’une société entièrement structurée par l’esclavage.Ceci est résumé par une mise en scène saisissante : la statue du « Père fondateur » Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’indépendance, affirmant que « tous les hommes sont créés égaux », debout devant des balles de coton marquées du nom de ses centaines d’esclaves..(...)

Une pédagogie par l’émotion

Davantage qu’un simple musée, le NMAAHC est considéré par nombre d’Américains, en particulier africains-américains, comme un lieu de pèlerinage spirituel. Une profonde émotion peut se lire sur le visage de certains de celles et ceux qui y pénètrent, souvent en famille. L’histoire des inégalités et des violences raciales racontée par le musée n’appartient pas au passé, mais a été vécue et, à bien des égards, est encore vécue par les visiteurs..(...)

en mai 2017, un nœud coulant a été retrouvé dans les galeries du musée, une menace de lynchage historiquement utilisée par les suprématistes blancs pour remettre les noirs « à leur place » par la terreur.

Le NMAAHC bouscule en effet la représentation glorieuse de leur histoire que se font nombre d’États-Uniens blancs. .(...)

La simple existence du NMAAHC revêt donc une dimension politique majeure. Dans un contexte marqué par une aggravation des tensions raciales et une reviviscence de l’extrême droite raciste, le musée endosse de fait une responsabilité bien plus large que celle d’un simple musée. Son directeur, Lonnie Bunch, affirme en ce sens que « ce musée doit se tenir fermement à l’avant-garde pour créer un espace sécurisé où avoir des conversations sur les questions raciales de telle sorte que nous puissions aider l’Amérique à se hisser au niveau de ses promesses ».(...)

Ainsi, en collectant des objets et des témoignages historiques sur Black Lives Matter, Barack Obama, les soulèvements de Ferguson et Baltimore, les violences policières, le massacre de Charleston, les défilés racistes de Charlottesville, les controverses entourant le démontage des monuments confédérés et les sportifs noirs s’agenouillant pendant l’hymne national, le NMAAHC s’engage dans le débat public au nom des valeurs qui ont traversé les mouvements sociaux africains-américains pour la justice. De ce point de vue, il n’est sans doute pas exagéré de faire de ce musée la plus récente des institutions de la démocratie américaine.