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Terrains de luttes
De l’autonomie à la mise sous tutelle ? Contraintes budgétaires et stratégies gestionnaires des universités
dernière modification le 22 septembre 2014

La revue Savoir / Agir consacre son numéro 29 aux réformes universitaires. Nous en publions ici un article portant sur les conséquences de la loi d’autonomie sur le fonctionnement quotidien des universités. Odile Henry et Jérémy Sinigaglia reviennent ici notamment sur les conséquences du nouveau système d’allocations des moyens, le mal nommé système SYMPA, qui a contribué en quelques années à la faillite de nombreuses universités françaises.

" Il n’y a même pas besoin que quelqu’un nous mette la pression, car une grande majorité de collègues sont prêts à beaucoup de choses pour que ça continue à tourner, c’est comme ça qu’on tient les gens"

G. Maître de conférences en mathématiques [1]

En novembre 2011, huit universités sont déclarées en faillite et placées sous la tutelle de leur rectorat. Comment expliquer ces situations de déficit budgétaire ? Quels sont les mécanismes responsables de ces difficultés financières ? Mais aussi, comment réagissent les équipes de direction des universités ? Quelles mesures mettent-elles en œuvre pour sortir de ces logiques d’endettement ? Ce sont ces questions qui ont guidé notre enquête [2].

On fait l’hypothèse que la situation de déficit budgétaire des universités est une conséquence directe du passage aux Responsabilités et compétences élargies (RCE) prévues par la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007, qui s’inscrit plus largement dans les réformes néolibérales du monde universitaire depuis le processus de Bologne[3] et la stratégie de Lisbonne[4]. Néanmoins, on postule également que si ces réformes tendent à produire un appauvrissement général des universités, il n’est pas possible d’analyser de manière univoque leurs effets. La santé financière des universités et la manière dont leurs missions sont affectées par les contraintes budgétaires dépendent aussi des ressources dont elles peuvent disposer (nombre d’étudiants, liens avec le tissu économique et politique local, attractivité de leur secteur recherche, place dans les classements internationaux, etc.) et des stratégies que celles-ci leur permettent de mettre en œuvre. Autrement dit, et c’est un effet de « l’autonomie », les conséquences des récentes réformes universitaires doivent s’analyser à la fois globalement et en fonction des configurations locales[5].

Bien qu’elles ne soient pas toutes en deçà du seuil prudentiel, les universités dans lesquelles nous avons enquêté connaissent toutes ce processus d’appauvrissement qui se traduit notamment par l’épuisement progressif, plus ou moins avancé, de leur fonds de roulement.

Les causes plus générales de paupérisation renvoient à la mise en œuvre des grands principes du Nouveau management public (NMP)[7], tels que l’autonomie budgétaire ou le financement au projet et à la performance. Avec le passage aux RCE, les établissements ont la charge intégrale des frais de personnels dans le cadre d’un budget global[8]. Or la dotation des universités fait abstraction de l’évolution de la masse salariale et, en particulier, du « Glissement Vieillesse Technicité » (GVT). Le GVT est un des mécanismes qui fait évoluer cette masse salariale. Cette évolution est, d’une part, fonction de la progression des qualifications (et donc des traitements) mais aussi du simple « vieillissement » des personnels (avancement d’échelon). Toutefois comme ces éléments renvoient aux statuts de la fonction publique, les établissements « autonomes » ne peuvent les maîtriser. (...)

Le NMP appauvrit également les universités : ainsi le renforcement des « pôles de compétitivité » dans le cadre du Grand emprunt mis en place en 2010 a eu des effets paradoxaux. Ce dispositif prévoit des « investissement d’avenir », financés via l’Agence nationale de la recherche, dans une sélection de « centres d’excellence » de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Équipements d’excellence, Laboratoires d’excellence, Initiatives d’excellence et Plan campus notamment). Or ce qui devait constituer une manne financière pour les universités s’est parfois révélé particulièrement coûteux. C’est le cas, par exemple, pour les établissements qui ont contracté des Partenariats publics privés (PPP) dans le cadre du Plan Campus. (...)

D’autres types de dépenses, variables d’une université à l’autre, sont engendrés par les nouveaux « besoins » créés par le passage à l’autonomie : contraintes de visibilité et d’attractivité liées à l’intensification des logiques de concurrence entre universités et entre composantes d’une même université, mais aussi accroissement des contraintes gestionnaires, lesquelles renforcent considérablement les attributions des services centraux au détriment de ce qui constitue le cœur même de l’activité, à savoir l’enseignement et la recherche. (...)

Les dépenses importantes dites de pilotage pèsent également, du fait de leur accumulation, sur les budgets des universités. Par exemple, l’argent versé à des cabinets de conseils, pour des audits sur la réorganisation des services dans les cas des fusions ou pour des candidatures aux projets d’excellence, sont de bons exemples de coûts pouvant atteindre plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliers d’euros. (...)

Par ailleurs, le recrutement par les universités d’énarques chargés de remplir les fonctions de gestion imposées par la LRU tend à grever les finances de ces établissements publics (...)

Dans certains cas, c’est l’affirmation même de la logique gestionnaire qui contribue, de façon apparemment paradoxale, à alourdir à terme les dépenses : par exemple, la baisse significative du nombre d’emplois de rang C (tels que les agents d’entretien) au profit de l’augmentation des emplois de rang B destinés à renforcer les équipes administratives dont les compétences sont nécessaires pour faire face aux contraintes de gestion imposées par la LRU. Or, si les emplois manquants sont compensés en partie par l’externalisation des services d’entretien, cette mesure engendre, dans un contexte marqué par le vieillissement du parc immobilier, non seulement une augmentation à moyen terme des coûts d’entretien mais aussi de nombreux dysfonctionnements (dégradation accélérée des équipements, allongement du délai de réparation des sanitaires, etc.). (...)

Stratégies d’ajustement budgétaire et polarisation du champ universitaire

Quand les universités ont grignoté l’intégralité de leur fonds de roulement, elles sont mises en situation de devoir réaliser elles-mêmes les coupes budgétaires attendues. L’effort de rationalisation est censé être ainsi perçu comme plus légitime car accompli et assumé par les acteurs eux-mêmes – ou au moins par les dirigeants locaux – et non dicté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou celui des Finances. Mais, comme l’explique un ancien membre du CA de l’université de Strasbourg, une fois le fonds de réserve passé sous le seuil de « réserve prudentielle » (équivalent à 30 jours de dépenses de fonctionnement), le message du rectorat est clair : « Mes enfants, l’heure est grave ! Il va falloir faire des économies ! »[13].

Et les mesures mises en place s’apparentent, selon un membre actuel du CA de cette université, à un véritable « programme d’austérité qui affecte l’ensemble des missions fondamentales de l’université, la formation, la recherche et les moyens en personnels »[14]. En réponse à des mécanismes d’appauvrissement largement structurels, certaines stratégies de rééquilibrage sont communes à toutes les universités. (...)

La dégradation des conditions d’enseignement au cours des dernières années a été médiatisée et fréquemment évoquée dans les entretiens réalisés. Sachant que la réussite de 500 étudiants supplémentaires donne droit à la création de 2,8 emplois et à 80 000 euros de fonctionnement, contre 20 emplois et 475 000 euros de fonctionnement pour une augmentation de 2,5 % de « publiants »[17], la dégradation des conditions d’enseignement peut être mise en relation avec les arbitrages opérés par les universités dans la distribution des moyens alloués à la formation et à la recherche.

Ainsi, dans un contexte budgétaire contraint, la valorisation de la recherche, bien plus rentable, peut s’opérer au détriment de la mission d’enseignement. (...)
En période de baisse continue des crédits de fonctionnement, l’injonction à « fonctionner sur ressources propres », c’est-à-dire à trouver des contrats, à créer des fondations et « à vendre tout ce qui est à vendre à des gens capables de payer »[22], aboutit à ce que la question des frais d’inscription, en tant qu’instrument de régulation de l’endettement, soit fréquemment évoquée. (...)

les étudiants étrangers constituent une ressource convoitée car si leurs frais d’inscription sont limités par la loi, il est possible d’y ajouter des frais de dossier (traduction, travail administratif supplémentaire…) susceptibles d’atteindre alors des sommes très importantes. (...)

La LRU va-t-elle contribuer à polariser encore plus fortement le champ universitaire français, avec d’un côté les pôles dits « d’excellence », capables de maintenir un enseignement de qualité grâce à la fongibilité asymétrique des crédits, et, de l’autre, des universités pauvres, contraintes de réduire leur budget de recherche et peu à peu spécialisées dans la formation des premiers cycles ? (...)

Des mécanismes transversaux de paupérisation et des spécificités locales (...)