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Mediapart
Dans les Balkans, le charbon tue
#Balkans #charbon #lignite #pollution
Article mis en ligne le 2 mai 2023
dernière modification le 1er mai 2023

(...) Le sous-sol des pays de l’ex-Yougoslavie regorge de lignite, ce charbon très polluant qui alimente les vieilles centrales bâties à l’époque. Malgré de terribles conséquences environnementales et sanitaires, les autorités refusent toujours de renoncer à leur « or noir ».

(...) Quand les autorités yougoslaves ont commencé la construction de la centrale Kosovo A, en 1962, Obiliq était encore une commune très rurale. Depuis, la ville s’est développée grâce au lignite, qui a longtemps fait sa richesse. Plusieurs hommes de la famille de Xhafer Gashi, dont son père, ont charbonné dans les centrales voisines et la grande mine qui les alimente en combustible. Mais lui a toujours préféré s’en tenir éloigné. « Avant, les habitants d’Obiliq étaient prioritaires pour y avoir un poste, mais ce n’est même plus le cas, peste l’élu. Maintenant, ils ont seulement le droit d’en subir les terribles conséquences sur leur environnement et leur santé. » (...)

Équipées de technologies très anciennes, soviétique et est-allemande, les deux centrales d’Obiliq, les seules du Kosovo, rejettent des quantités astronomiques de particules fines. En 2020, le réseau écologiste européen Bankwatch y a ainsi relevé des pics de concentration de PM10 jusqu’à 50 fois supérieurs à la limite journalière autorisée. Des poussières qui ont un impact très lourd sur la santé des habitant·es de cette zone la plus peuplée du pays.

Un rapport de la Banque mondiale paru en 2019 assure que la pollution de l’air tuerait près de 800 personnes chaque année au Kosovo, sur une population d’à peine 1,8 million d’habitant·es. À Obiliq, c’est pire encore : on y recense 30 % de cancers et de maladies respiratoires en plus que dans le reste du petit pays. Des ONG écologistes ont même fait ce calcul macabre : l’exploitation du lignite coûterait cinq années de vie aux riverain·es des deux centrales. Difficile toutefois de corroborer cette estimation puisque aucune étude épidémiologique d’envergure n’a jamais été menée sur leur impact sanitaire.

Chez les travailleurs et travailleuses des deux centrales et des mines, le taux de mortalité est en tout cas effarant. (...)

Difficile de sortir du tout-lignite

Au Kosovo, le prix du kWh a toutefois de quoi faire rêver bien des Européen·nes : à peine 0,06 euro, plus de trois fois moins que la moyenne de l’Union européenne (UE). Ce tarif très bas tient à ses immenses réserves connues de lignite, les cinquièmes les plus importantes au monde. Même s’il est associé au passé controversé de la Yougoslavie, ce combustible fossile réputé pour son extrême pollution est donc resté au cœur de la stratégie énergétique des différents gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de la guerre de 1999.

Durant longtemps, le Kosovo a même espéré pouvoir construire une troisième centrale à charbon, avec le soutien financier de la Banque mondiale. (...)

la Banque mondiale a fini par retirer sa promesse de soutien financier fin 2018. « Nos statuts nous obligent à opter pour l’option la moins chère et les énergies renouvelables sont désormais plus compétitives que le charbon », résumait alors son président, Jim Yong Kim.

Le coup de grâce a finalement été porté au printemps 2020 par le nouveau premier ministre kosovar, Albin Kurti, opposant de longue date à cette idée de troisième centrale au lignite. Or, depuis, rien n’a bougé, ou presque. Plutôt que de mettre le paquet sur l’éolien ou le solaire, les autorités de Pristina se sont contentées de prolonger la durée de vie de la centrale Kosovo A, qui aurait dû fermer si Kosovo e Rë était sortie de terre. Ce manque d’action a fini par coûter cher.

Le Kosovo vient en effet de traverser la plus grave crise énergétique de son histoire, soulevant une immense vague de colère parmi la population. Ses centrales vieillissantes ont connu plusieurs pannes, qui ont mis deux unités sur quatre à l’arrêt, et le pays a dû se résoudre à importer plus de 40 % de son électricité à des tarifs devenus prohibitifs. Acculé, le gouvernement a aussi imposé des coupures quotidiennes durant près d’un an et doublé les prix pour les plus gros consommateurs. Sans parler de l’interdiction du minage de cryptomonnaies, activité particulièrement gourmande en courant, une première dans le monde.

Le centrales des Balkans polluent plus que toutes celles de l’UE (...)

On a tendance à l’oublier, mais depuis le 1er janvier 2018, le Kosovo est tenu de se conformer aux quotas de pollution fixés par la Communauté de l’énergie, le marché intégré européen. De même que ses cinq voisins des Balkans occidentaux, tous candidats à l’intégration. Or, seule l’Albanie les respecte, parce qu’elle n’a pas de lignite et mise sur l’hydroélectrique. Les autres les dépassent toujours allègrement, dégageant en moyenne cinq fois plus de dioxyde de souffre (SO2) et 1,8 fois plus de particules fines que les normes autorisées. (...)

« Chez nous, la transition verte ne commencera réellement que lorsque les responsables politiques auront compris comment se remplir les poches avec ». Denis Žiško, activiste climatique (...)

À Tuzla, comme ailleurs dans la région, des manifestations ont lieu régulièrement pour dénoncer l’inaction des autorités contre la pollution atmosphérique. « Désormais, tout le monde sait que le charbon est un problème », assure Denis Žiško. Mais rien ne bouge. Voilà dix ans, cet infatigable activiste climatique a co-supervisé la première étude sur les conséquences sanitaires de la pollution liée à la centrale voisine. Plus que des applaudissements, cela lui a valu de multiples menaces. Parce qu’ici, chaque famille ou presque connaît quelqu’un qui vit grâce au lignite, et il n’est pas question de renoncer à cet « or noir ».

Dans une Bosnie-Herzégovine rongée par le chômage de masse, la filière charbon, toujours presque entièrement nationalisée, reste l’un des principaux employeurs. C’est aussi une réserve massive de voix pour les formations ethnonationalistes au pouvoir, qui y placent leurs obligés. Tant pis, donc, si l’exploitation du lignite devient de moins en moins rentable, le secteur doit (sur)vivre, même sous perfusion. (...)

Le hic, c’est que la crise énergétique aggravée par la guerre en Ukraine a relancé l’intérêt pour le charbon au sein même de l’Union européenne. De quoi mettre en sourdine les critiques sur le retard du développement des énergies renouvelables parmi les pays candidats (...)