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Mediapart
Dans le cinéma, des violences sexuelles systémiques
#violencesexuelles #Cinema
Article mis en ligne le 17 mai 2023
dernière modification le 16 mai 2023

Deux ans après #MeToo, le monde du cinéma français n’a pas encore opéré sa révolution des pratiques, même s’il en prend doucement la voie. Comment protéger davantage les hommes et femmes de ce milieu, où l’artistique masque trop souvent des violences ?

C’estC’est un acteur qui met son pied dans l’entrejambe d’une comédienne sous la table, lors d’une prise. Un réalisateur qui accompagne une jeune actrice aux essayages en lâchant : « Elle a un beau petit cul, faut lui mouler. » Un producteur qui conditionne un rôle à des faveurs sexuelles. Une main sur les fesses, une remarque sexiste, une humiliation misogyne, une tentative de viol dans une loge. Dans le monde du spectacle, les témoignages déboulent en avalanche quand on tend l’oreille. Et ils ne concernent d’ailleurs pas que les femmes : nombre d’hommes sont eux aussi victimes de comportements abusifs, émanant le plus souvent d’hommes.

« On a toutes une histoire de harcèlement ou de sexisme », résume l’une de nos interlocutrices. Parfois, elles sont lasses de raconter encore. Parce que rien ne change ensuite. Parce que certaines ont vu filer des projets ou récompenses après avoir parlé tout haut. Ou parce qu’elles se sentent trop seules à prendre la parole sur une question qui devrait pourtant faire consensus. D’autres sont agacées de « l’injonction » à s’exprimer sur le sujet, du questionnement perpétuel renvoyé à l’industrie du cinéma, quand toute la société est concernée par ce gigantesque problème de santé publique. La majorité du monde du cinéma, elle, fuit les micros quand on aborde ce sujet qui reste tabou. En témoigne le grand nombre de personnes ayant, dans cet article, requis l’anonymat ou refusé de répondre (lire notre « boîte noire »).

Peu nombreux sont les comédien·ne·s à prendre la parole publiquement sur la question – citons, par exemple, Isabelle Adjani, qui a fustigé « les trois G – galanterie, grivoiserie, goujaterie » en France, Léa Drucker qui a dénoncé les violences faites aux femmes sur la scène des César, rendant hommage aux féministes, Léa Seydoux qui a témoigné contre Harvey Weinstein, et surtout Noémie Kocher, qui fait partie des actrices à avoir dénoncé, dès 2001, le harcèlement sexuel du cinéaste Jean-Claude Brisseau. (...)

Le discours de remise en cause systématique de la parole des victimes, s’il recule, perdure. Des alertes sont encore ignorées. Des cinéastes accusés de violences sexuelles sont encore célébrés ou soutenus en France – à l’image de Roman Polanski ou de Woody Allen. (...)

La directrice de casting Nathalie Cheron, présidente de l’ARDA (qui regroupe 70 directeurs et directrices de casting), et « oreille bienveillante » du milieu, voit affluer les témoignages par dizaines. Comme ce jeune comédien, harcelé sexuellement par l’acteur qui jouait son père. Ou cette actrice qui a subi du harcèlement moral et sexuel de la part d’un comédien célèbre, sans que cela n’entraîne de réactions sur le plateau. « Aujourd’hui, elle est détruite, elle a peur. La profession ne la fait plus tourner, elle passe pour une folle », déplore la directrice de casting.
« Je me retrouve blacklistée et très seule »

L’emprise ou les comportements inappropriés sont souvent justifiés par la dimension artistique. Comme si l’intérêt de l’œuvre était supérieur, ou pouvait, en tout cas, autoriser de la maltraitance et du harcèlement dans un objectif artistique. C’est d’autant plus le cas lorsque l’auteur des violences est le réalisateurLa directrice de casting Nathalie Cheron, présidente de l’ARDA (qui regroupe 70 directeurs et directrices de casting), et « oreille bienveillante » du milieu, voit affluer les témoignages par dizaines. Comme ce jeune comédien, harcelé sexuellement par l’acteur qui jouait son père. Ou cette actrice qui a subi du harcèlement moral et sexuel de la part d’un comédien célèbre, sans que cela n’entraîne de réactions sur le plateau. « Aujourd’hui, elle est détruite, elle a peur. La profession ne la fait plus tourner, elle passe pour une folle », déplore la directrice de casting.
« Je me retrouve blacklistée et très seule »

L’emprise ou les comportements inappropriés sont souvent justifiés par la dimension artistique. Comme si l’intérêt de l’œuvre était supérieur, ou pouvait, en tout cas, autoriser de la maltraitance et du harcèlement dans un objectif artistique. C’est d’autant plus le cas lorsque l’auteur des violences est le réalisateur (...)

L’argument du « nécessaire rapport de séduction » hérisse nombre de nos interlocuteurs. « Les “non mais c’est le désir”, “c’est la structure du métier qui veut cela”, “On n’est pas aux États-Unis, vous n’allez pas m’interdire de draguer”, on les entend encore un peu partout, et c’est n’importe quoi », s’agace la jeune actrice et scénariste Alysse Hallali, qui, comme d’autres, s’inquiète d’un retour de bâton en France, deux ans après #MeToo : « En ce moment, on commence à entendre la petite musique “Bon, ça va bien avec #MeToo.” » (...)

Dans cette relation de pouvoir, les comédien·ne·s ne sont pas les plus vulnérables, insistent nombre de personnes interrogées. En bas de l’échelle très hiérarchisée du cinéma, combien pèse la parole d’un.e technicien.ne ou d’un.e figurant.e qui a subi du sexisme ou des violences sexuelles ? « Quand on est actrice sur un film, on nous respecte davantage, on a plus de pouvoir que des métiers comme habilleuse, coiffeuse, maquilleuse », insiste Clotilde Hesme. (...)

« Omerta », le mot revient dans la bouche de la plupart des personnes interrogées. (...)

« Les gens se protègent entre eux, c’est comme au Vatican. » (...)

Tou·te·s en conviennent, depuis #MeToo, « les ambiances de plateaux ont changé », « les femmes sont plus solidaires » sur le sujet, « le mot sororité résonne partout ». « Aujourd’hui on sent qu’on a gagné une première bataille, car plus personne ne peut éviter de se poser la question… même pas le plus gros des machos », ironise Julie Billy.

« Entre femmes, on se regarde davantage dans les yeux, on se dit davantage bonjour, on se surveille davantage. Et l’écoute s’est libérée, alors qu’avant on se disait plutôt les choses sous cape, “fais gaffe, parce que lui…” », ajoute Annelise Hesme. Nadège Beausson-Diagne se veut elle aussi « optimiste » : « La jeune génération est plus sensible à la problématique, plus solidaire, elle a grandi avec une autre vision. »

La balle est aujourd’hui dans le camp des producteurs et productrices. Mais pas seulement. Plusieurs de nos interlocutrices estiment que les hommes ont un rôle crucial à jouer. (...)