
Le 24 janvier, après avoir été porté disparu pendant deux jours dans les bois enneigés de Caroline du Nord, Casey Hathaway, 3 ans, a été retrouvé sain et sauf. Si on a entendu parler de cette affaire miraculeuse (les températures étaient proches de zéro, les conditions météorologiques si mauvaises que la police avait demandé aux volontaires d’interrompre les recherches et le petit garçon n’était pas suffisamment couvert pour être véritablement protégé du froid), c’est surtout parce que l’enfant a dit qu’il avait été maintenu en vie par un ours. Une belle histoire. « Huge if true », tweetait ainsi ma consœur du Guardian Elle Hunt (« énorme si c’est vrai »).
Résultat : quand le verdict est tombé, dans la bouche de Chris Servheen, chercheur de l’université du Montana spécialiste des ours, la déception était totale. « Sorry folks », a ainsi posté la journaliste britannique sur Twitter (« désolée les gars »). C’est bien la preuve que tout le monde avait envie d’y croire. « Cette entente paisible entre un enfant et un animal sauvage est une sorte de millefeuille de mythes », nous explique le professeur d’ethnologie à l’université de Bretagne occidentale Sergio Dalla Bernardina. Une fascination qui est ancrée depuis des centaines, voire des milliers d’années, dans notre folklore, et qui n’a aucune raison de disparaître au XXIe siècle. Au contraire. (...)
Le mythe d’un état de nature indifférencié
Plus encore que les histoires –qui pullulent–, de chiens ou de chats qui ont tiré un enfant du danger, celles où ce sont des animaux sauvages et non domestiques qui se font sauveurs ont quelque chose d’attrayant. Parce qu’elles renvoient au passé. Et pas à n’importe lequel : au « mythe des origines, un âge d’or, où régnait une paix universelle, qui a précédé la rupture entre les humains et les non-humains, une époque indifférenciée où tous les êtres logeaient à la même enseigne », pointe l’auteur de L’éloquence des bêtes : quand l’homme parle des animaux.
Tous les éléments du récit viennent renforcer cette vision d’un état où l’humain n’avait pas encore bouleversé l’ordre naturel. (...)
Coexistence pacifique inter-espèces
Dans ce monde terre à terre où la violence des humains à l’égard des bestioles –que ce soit en raison du changement climatique, de notre consommation de plastique ou au sein même des abattoirs–, est attestée et de plus en plus dénoncée, une coexistence paicifique au sein du règne animal ne manque pas de charme. Selon le chercheur, la belle histoire que le petit Casey Hathaway s’est inventée, et qui a largement dépassé les frontières du comté de Craven et de sa centaine de milliers d’habitants, a aussi ceci d’attirant qu’elle a des caractéristiques « eschatologiques ». « Elle nous parle du futur, préfigure un monde à venir et rappelle cette prophétie d’Isaïe : “Alors le loup habitera avec l’agneau et la panthère reposera avec le chevreau.” » (...)