
Au sud de Lyon, habitants et ONG ont porté plainte contre le groupe chimique Arkema, accusé de contaminer le Rhône avec des polluants éternels. Plus de 220 000 personnes pourraient être touchées.
C’est l’histoire d’une mère dont le lait maternel a été pollué. D’une jeune fille qui a bu de l’eau contaminée. D’un enfant qui a dû subir une ablation d’un testicule à l’âge d’un an. Le 25 mai, trente-sept riverains de la vallée de la Chimie à la porte de Lyon ainsi que dix associations et syndicats ont déposé un recours en référé pénal environnemental au tribunal judiciaire de Lyon contre le groupe chimique Arkema pour mettre un terme à la pollution aux polluants éternels (PFAS), des composants quasi indestructibles, dans le Rhône.
Selon un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable de décembre 2022, Arkema a rejeté 3,5 tonnes de PFAS dans le fleuve, en direction de deux champs captants qui alimentent une centaine de communes depuis 2011. Plus de 220 000 personnes pourraient être touchées dans la région. Cette pollution majeure est documentée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) depuis 2011, mais Arkema exploite son activité de fabrication de produits chimiques fluorés depuis 1957 — difficile donc de savoir quand la situation a pris des proportions industrielles. (...)
« Est-ce normal de découvrir un cancer par maison ? Chez moi, il y a un cancer. Ma voisine en face en est à son troisième et son mari en est déjà mort. Pareil dans la maison derrière moi », interroge Thierry Mounib, au timbre calme malgré la gravité des faits. Ancien cuisinier aux Hospices civils de Lyon, l’homme de 69 ans a passé sa vie à Pierre-Bénite. À la tête de l’association Bien Vivre à Pierre-Bénite, il participe depuis quinze ans aux réunions publiques et aux comités qui rassemblent élus, industriels et services de l’État. Pourtant, « jamais, je n’avais entendu parler des polluants éternels », dit-il.
Les employés fortement contaminés (...)
une exposition prolongée aux PFAS peut provoquer de nombreux problèmes de santé : lésions hépatiques, maladies thyroïdiennes, obésité, problème de fertilité, diabète, cancer du sein, des testicules, des reins… (...)
Cette vaste pollution a été révélée par l’émission Vert de Rage de France 5 en mai 2022. Une seconde enquête, « Polluants éternels : un poison en héritage », diffusée par France 3 ce mois de juin, a dévoilé qu’Arkema avait analysé la contamination de ses travailleurs au PFNA, un acide perfluoré. (...)
Des rapports jusqu’ici confidentiels démontrent que les échantillons de sang des salariés les plus exposés sont 1 000 fois plus contaminés aux PFOA, un perfluoré synthétique, que la moyenne nationale. Malgré l’arrêt de la production de ce polluant éternel en 2008, le sang des ouvriers de Daikin présentait encore des taux de contamination 400 fois plus élevés que la normale en 2016. (...)
L’équipe de France 3 a également mené des tests sanguins sur dix Pierre-Bénitains volontaires, réunis par Thierry Mounib. « Les taux de contaminations sont affolants », insiste Jean-Paul Massonnat, qui fait partie des dépistés aux PFAS. L’ancien manipulateur radio montre les résultats, qui dépassent tous largement la moyenne française. (...)
L’Agence régionale de santé (ARS) a recommandé aux résidents des quinze communes alentour de ne pas consommer les œufs et les volailles du secteur, ainsi que les poissons pêchés en aval de Pierre-Bénite. Retraité à Saint-Fons, où il possède des poules, Serge est estomaqué. « Quand j’ai vu que j’avais l’injonction de ne pas manger les œufs de mon jardin, ça m’a fait drôle : je donnais les miens à mes petits-enfants, explique-t-il. Je suis en colère contre l’État qui laisse faire ça alors qu’il devrait nous protéger. C’est angoissant ! »
Ce scandale sanitaire touche aussi les producteurs bios du sud lyonnais. (...)
S’il leur est impossible de prouver aujourd’hui la causalité entre les rejets d’Arkema et leurs problèmes de santé, riverains et agriculteurs espèrent que l’action portée en justice par l’organisation Notre affaire à tous le 25 mai fera la lumière sur ce scandale sanitaire. (...)
« Des chercheurs du CNRS avaient signalé cette pollution à la préfecture en 2009, mais personne n’a rien fait, s’énerve Thierry Mounib. Les industriels ont vu les analyses de sang et l’augmentation des PFAS sans agir. » Pour Louise Tschanz, « il y a eu une démarche de dissimulation de preuves de la part d’Arkema ». Un épisode le démontre : en juin 2010, alors que l’Anses et la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) devaient faire des prélèvements sur le site de Pierre-Bénite, Arkema a fait démanteler le piézomètre le plus contaminé la veille de leur passage.
L’industriel aurait dû analyser les sédiments, la flore et la faune aquatique au moins une fois par an. Pourtant, « depuis 2007, Arkema a réalisé trois surveillances annuelles, dont une concerne les PFAS », décompte l’avocate. Dans l’usine, le silence serait de mise pour les 700 employés. « Ils ont peur pour leur emploi » (...)
Depuis les révélations de cette pollution, « les habitants, les employés, tous sont inquiets ».