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Dans l’angle mort des violences d’État : les violences pénitentiaires
/journal L’Envolée
Article mis en ligne le 9 janvier 2021

Malgré le confinement, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre la loi dite « de sécurité globale », et plus particulièrement contre l’article qui vise à limiter le droit de filmer les agissements de la police. Si les journalistes s’en mêlent et manifestent avec les autres contre les violences policières, c’est bien parce qu’ils se trouvent directement menacés dans l’exercice de leur profession. Un concours de circonstances qui a mis – pour une fois – quelques caméras officielles du côté des opprimés, et on les a mieux entendus : tant mieux !

Nous n’oublions pas pour autant que ça fait des années que ces violences sont régulièrement dénoncées par des collectifs et des comités de familles et de victimes qui réclament inlassablement la vérité, le plus souvent sans jamais être entendus ni recevoir de réponse.

En clair, pour prouver que la police est violente, il faut des images qui passent à la télé. Mais alors, comment « prouver » les violences là où il ne peut pas y avoir d’images : en garde-à-vue, dans les centres de rétention administratifs (CRA), et dans toutes les prisons de France ? Comment « prouver » qu’il y a des violences pénitentiaires tout comme il y a des violences policières ?

La prison tue

(...)

Tous les trois jours en moyenne, l’administration pénitentiaire signale un nouveau « suicide » au sein de la population pénale - qui se trouve par définition sous son entière responsabilité. Ceux et celles qui connaissent la réalité carcérale pour l’avoir éprouvée dans leur chair parlent souvent de « morts suspectes » plutôt que de suicides.

La liste de ces « suicides » qui sont contestés par les prisonniers et leurs proches est malheureusement interminable. (...)

Ceux qui voudraient dénoncer ces lynchages voient s’abattre sur eux une punition immédiate et implacable. Des transferts disciplinaires les éloignent de leurs familles et de leurs réseaux de solidarité au sein de la prison… quand ils ne sont pas passés à tabac à leur tour, comme Jean-Christophe Merlet, un prisonnier handicapé à vie après avoir subi la fureur d’une équipe de surveillants du centre de détention de Saint-Martin-de-Ré qu’il accuse d’avoir frappé à mort un de ses codétenus.

À l’abri des regards

(...)

Il faudrait que cette période soit aussi l’occasion d’enfin entendre les récits sortis des lieux où la violence d’État s’exerce loin des regards.

Comme les policiers, les surveillants pénitentiaires humilient ; certains tabassent, et tuent parfois derrière les hauts murs des prisons de France. Tout particulièrement dans les mitards et les quartiers d’isolement. (...)

La prison, c’est la vraie « grande muette ».
Sort-on de l’humanité en entrant en prison ?

Et puis les gardiens de prison savent que prisonniers et prisonnières sont au ban de l’humanité. Qu’ils portent un numéro, qu’ils n’ont pas le droit d’association, qu’ils n’ont pas le droit à la parole. La parole des prisonniers est une parole infâme, jamais crue car toujours suspecte d’être mensongère, exagérée, nourrie par « la haine de l’autorité ». Lorsque des proches contestent la version officielle après un décès en détention, c’est comme pour les crimes policiers : l’administration pénitentiaire et la justice invoquent d’improbables problèmes de santé, la consommation de stupéfiants, des troubles psychiatriques, des violences à l’encontre des surveillants, des tendances suicidaires... Le défunt est systématiquement présenté comme seul responsable de sa mort. Tant pis si des contre-expertises d’autopsie donnent des preuves patentes que la version officielle est mensongère, si on constate des traces de coups ou de strangulation, tant pis si la corde avec laquelle un prisonnier est censé s’être pendu est trop longue.

Quand on enferme quelqu’un, on enferme avec lui les gens qui l’aiment. Ils ne peuvent endurer, en plus de l’éloignement et de la séparation, la peur de le voir sortir mutilé, traumatisé, ou entre quatre planches. Mais comme la parole d’un prisonnier ou d’une prisonnière, celle de sa famille n’inspire le plus souvent que de la méfiance, voire le mépris. Des familles et des collectifs de proches de prisonniers et de prisonnières se font tout de même obstinément les porte-voix des prisonnier·e·s qui osent s’exposer aux sanctions disciplinaires en rendant public des faits de violences. (...)

Nous sommes évidemment opposés à la loi sur la sécurité globale, qui doit être complètement abrogée, mais nous appelons à l’extension du combat à tous les lieux d’enfermement. (...)

Les quartiers disciplinaires (QD) et les quartiers d’isolement (QI) sont des lieux de torture. Ils doivent être fermés.

Toute la lumière doit être faite sur toutes les morts suspectes en prison ; la parole des prisonniers doit être crue et relayée.

Leurs proches doivent être soutenus dans leur recherche de la vérité.