Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Telerama
Dans Une histoire à soi, Amandine Gay donne à voir et à entendre cinq récits de vie de personnes adoptées en France issues de pays lointains.
Amandine Gay, réalisatrice d’“Une histoire à soi” : “Dans l’espace public, l’adoption est au degré zéro de la politisation”
Article mis en ligne le 23 juin 2021

Leurs voix brisent des silences. Ils sont adultes, sont originaires du Rwanda, du Brésil, du Sri Lanka, de Corée du Sud ou d’Australie, et partagent un même pan d’identité, celui de personnes adoptées par des familles françaises. Révélée il y a quatre ans pour son documentaire Ouvrir la voix, Amandine Gay propose ici une réappropriation bouleversante de leur narration. Le résultat prend forme à travers un subtil assemblage d’images d’archives personnelles et de récits en voix off, jamais face caméra. En salles le 23 juin, Une histoire à soi (lire ici notre critique) donne vie à une histoire intime et politique de l’adoption internationale et questionne la place de l’enfant dans nos sociétés.

En 2015 j’ai suivi une maîtrise de sociologie dans laquelle j’ai étudié les mobilisations de personnes adoptées en France et au Québec. Après avoir créé le Mois des adoptés, en 2018, j’ai commencé l’écriture d’Une histoire à soi. Le documentaire est né d’un constat : l’adoption dans l’espace public francophone est au degré zéro de la politisation. Un de mes amis d’enfance, également adopté, a mis fin à ses jours la semaine de la sortie d’Ouvrir la voix. Après ce drame, c’était devenu une évidence, comme une urgence à prendre le sujet à bras-le-corps. Le 3 juin dernier, un ancien footballeur du Milan AC adopté et né en Éthiopie, Seid Visin, s’est suicidé. Ces drames mettent tristement en lumière les souffrances, les questions de déracinement et de racisme dont sont victimes les personnes adoptées. Cela me brise le cœur, et il faut que cela cesse. (...)

Dans votre précédent documentaire, Ouvrir la voix, les visages des femmes étaient centraux. Ici, ils sont effacés derrière un grand travail d’archives personnelles. Pourquoi ce choix ?
L’enjeu était vraiment de faire un grand film d’archives débarrassé des scories du film d’archives télévisé, et donc de vraiment pouvoir avoir une forme d’audace cinématique. Mon idée étant toujours de mêler la forme et le fond, je reste convaincue que les personnes concernées ont une forme d’expertise, ce ne sont pas juste des témoins, mais vraiment des personnes sur lesquelles il est possible de bâtir une narration. À l’image, on peut raconter l’histoire de quelqu’un et plonger dans son récit de vie sans forcément le voir face caméra. Les personnages sont ici uniquement représentés via des photos d’eux, de leur naissance à aujourd’hui. Pour l’un d’eux, Mathieu, nous avons choisi de centrer son rapport au dessin dans l’enfance, l’adolescence, et puis lorsqu’il devient adulte et qu’il est couvert de tatouages. C’est une autre façon également de représenter les participants du film : on a complètement une idée de leur individualité à la fin sans même avoir vu leur visage face caméra. Nous avons vraiment essayé de pousser le film d’archives à son paroxysme en quelque sorte. (...)

À travers la question de l’adoption internationale, le film souligne le sentiment ambivalent du déracinement contraint et de l’acculturation. En quoi votre démarche est-elle aussi politique ?
Pendant très longtemps, et jusqu’à ce que les personnes adoptées représentent une masse critique d’adultes en mesure de s’exprimer librement, le discours a été centré sur les candidats à l’adoption et les parents adoptants. Ce qui a contribué à dépolitiser la pratique, il était uniquement question de désir d’enfants, d’amour, d’humanitaire ou de morale. Dans ce traitement de l’adoption ont disparu des enjeux très importants, comme les questions de rapports de classes ou de races. (...)

Ces enjeux-là ont été traversés par beaucoup de personnes adoptées, sachant que l’adoption transnationale démarre dans les années 1970 et explose dans les années 1980. Je ne parle même pas d’un déficit de reconnaissance du racisme systémique, mais d’une préparation très minime quant à l’accueil d’un enfant d’une autre communauté. Vient s’ajouter à cela un manque d’homogénéité, selon les départements en charge de gérer l’adoption.
“Nous sommes coincés dans une sorte d’impossibilité à penser les familles au-delà de la famille nucléaire et de la caricature pensée par la Manif pour tous.” (...)

Les familles contemporaines sont plurielles et peuvent être recomposées, monoparentales, homoparentales ou adoptantes. Une personne adoptée a, de fait, trois ou quatre parents, et l’existence des familles adoptantes n’a pas créé de chaos dans la société, il n’y a donc pas de raison que cela soit différent dans le cas des familles homoparentales. Je trouve qu’il est très intéressant de s’appuyer sur l’expérience des personnes adoptées pour justement repenser le « faire famille » et interroger l’idée selon laquelle les enfants sont une propriété. (...)

On entend très souvent dire qu’il n’y a pas d’enfants disponibles à l’adoption en France, mais c’est faux, les adoptions simples sont tout à fait possibles, c’est-à-dire à destination des enfants à la charge de l’État. Seulement, les candidats veulent-ils des enfants ou élever une personne pour en faire une propriété en les façonnant à leur image ?

Et vous, Amandine, quelle est votre histoire ?
Mon histoire est assez différente de celle abordée dans le film puisque je suis née sous le secret, en France, d’une mère marocaine et d’un père martiniquais, puis j’ai grandi dans une famille blanche. Naître sous le secret soulève d’autres enjeux comme celui de l’accès à ses origines géographiques ou à ses antécédents médicaux. Au même titre que pour les cas de dons de gamètes anonymes, il est impossible de prévenir les familles qui y ont eu recours en cas de développement d’une maladie grave. J’ai eu récemment des fibromes utérins et l’absence d’accès à mes antécédents médicaux a compliqué mon hystérectomie. Ce film rappelle ainsi qu’il est urgent de cesser de considérer l’adoption comme un élément circonstancié dans le temps qui se résumerait à l’unique union entre un mineur isolé et une famille. Les récits des personnes adoptées révèlent combien l’adoption n’est, en réalité, jamais terminée et peut se manifester à tous les âges de nos vies.