
Le mari de Caroline Chenet-Lis est décédé en 2011 des suites d’un cancer. Au contact permanent de pesticides, il est l’un des premiers agriculteurs dont la maladie a été reconnue par la sécurité sociale agricole. Reporterre est allé à la rencontre de cette femme énergique qui se bat aujourd’hui pour dénoncer le danger des produits phyto-sanitaires.
(...) Caroline Chenet-Lis est venue nous chercher à la gare de Saujon, en Charente-Maritime, à quelques kilomètres de sa ferme. Comme elle est venue chercher de nombreux journalistes. « L’année qui a suivi le décès de Yannick, nous recevions au moins un média par mois ! Cette médiatisation était nécessaire car l’association Phyto-Victimes avait été créée deux mois après la mort de Yannick. »
Cette femme énergique assume sans rechigner le rôle de porte-parole de Phyto-Victimes dont elle a été vice-Présidente les quatre premières années. Si elle raconte le drame qui a touché sa famille, c’est pour dénoncer le danger des pesticides et informer ceux qui sont directement concernés, les agriculteurs, les salariés de l’agro-alimentaire et les riverains des exploitations.
300 pesticides différents
C’est aussi pour que les gens comprennent ce qui est arrivé à son mari. Quand celui-ci reprend en 1989 la ferme familiale, c’est une petite exploitation d’une trentaine d’hectares, avec une vingtaine de vaches à viande, des céréales et six hectares d’ugni blanc, le cépage du Cognac. « C’était un fonceur, alors on s’est vite agrandi et modernisé en construisant deux « stabulations » et en achetant du matériel pour la fenaison. »
Avec ses 210 hectares dont 130 de marais et un troupeau de 150 bêtes, l’exploitation des Chenet n’a rien d’industrielle. Les compléments céréaliers donnés aux animaux sont fabriqués sur place et ne reçoivent aucun traitement. Cela n’était pas le cas quand Yannick s’en occupait. « Les pesticides étaient utilisés pour la culture des céréales et pour la vigne. Yannick a commencé à en manipuler dès l’age de quatorze ans dans l’exploitation familiale, les bras nus et sans cabine de protection, comme tout le monde à l’époque. » (...)
Après son décès, elle épluchera toutes les factures et tombera des nues : son mari a utilisé 300 pesticides différents pendant sa carrière ! Elle se rappelle lui avoir dit plusieurs fois qu’elle trouvait les traitements très nombreux, surtout avec les enfants à la ferme. Lui ne se posait pas la question.
« Mais personne ne se la posait autour de nous ! Et les coopératives et les marchands qui nous livraient à la ferme ont bien sûr complètement oublié de nous dire que leurs produits étaient dangereux. » (...)
Caroline Chenet dénonce l’hypocrisie de la Sécurité sociale. « Pour elle, les agriculteurs qui ont un cancer ou la maladie de Parkinson sont des gens qui ont eu un métier fatiguant et sont usés, et ça s’arrête là. C’est d’autant plus scandaleux que nous avons appris que dans la région, une clinique accueille régulièrement des viticulteurs du Bordelais, du Médoc et de Charente empoisonnés d’avoir traité leurs vignes. »
Sa colère prolonge celle de son mari. « Yannick était un homme en colère. Cela ne l’a pas empêché de très vite chercher à convaincre les agriculteurs qui autour de nous utilisaient des pesticides sans se protéger suffisamment. Il s’est alors heurté au refus de certains de reconnaître que les produits étaient la cause de son cancer et en a été blessé. La rencontre d’autres agriculteurs frappés par la maladie a été à ce moment très importante pour lui. » (...)
Caroline Chenet-Lis porte désormais un regard différent sur le monde agricole. « Dans les lycées professionnels, les jeunes commencent à apprendre à utiliser un pulvérisateur avant de connaître la dangerosité des produits ! Il faut les former pour qu’ils cultivent bio ou limitent au maximum l’utilisation des pesticides. Cela prendra du temps mais c’est les jeunes qu’il faut convaincre ! » (...)
Elue depuis deux ans à la Chambre d’agriculture de son département (sur la liste de la FNSEA), elle promeut l’agriculture biologique. « Il faut ré-introduire en Charente-Maritime les ‘fermes-défi’. Dans ces exploitations, les agriculteurs qui se proposent de diminuer l’utilisation des produits phyto-sanitaires seront aidés. »
Elle même est décidée à montrer l’exemple. « Nous réfléchissons à la conversion en bio des surfaces où sont cultivés le blé, le maïs, l’orge ou le maïs vendus à la Coop. Cela n’est pas facile car cela nécessite des investissements et un changement de pratiques. »
Pour l’élevage, c’est plus simple et le pas a été franchi. (...)