
La déchéance de nationalité, rarissime, n’était jusque là possible que pour les binationaux naturalisés depuis moins de 10 ans, 15 ans « pour les crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Même approuvée par une majorité de sondés, dont le souci de sécurité est compréhensible, l’élargissement à tous les bi-nationaux de cette disposition est une mesure raciste, sans utilité dans la lutte contre le terrorisme, une mesure délétère pour l’unité nationale si souhaitable dans ces circonstances.
(...) Cette discrimination qui stigmatisera des centaines de milliers de citoyens nés Français rencontre l’imaginaire apeuré de ceux qui, comme le prêchent Nadine Morano ou Marion Maréchal-Le Pen, peinent à reconnaître comme de vrais Français ceux dont la couleur ou le patronyme signalent qu’ils ont des ascendances familiales au Sud de la Méditerranée. En clair, les Arabes et les Noirs. Ce sont eux qui sont visés, chacun le sait.
Durant l’occupation nazie, des hommes et des femmes, des Français, ont collaboré avec l’envahisseur et se sont fait complices de crimes quantitativement beaucoup plus meurtriers que les horreurs dont les suppôts de Daech ont récemment accablé Paris. Des dizaines de milliers de juifs, de résistants, d’hommes et de femmes libres ont été victimes de cette alliance entre les bourreaux étrangers et leurs séides français. La Libération venue, ils n’ont pas été déchus de leur nationalité. Ils étaient Français. Ils avaient trahi leur patrie et leurs compatriotes. Ils ont été condamnés pour trahison, sévèrement châtiés et mis hors d’état de nuire. (...)
La République, si obsessionnellement invoquée, envisage donc de tracer une frontière entre ceux dont la francité est indéracinable et ceux qu’on peut en dévêtir par décision de justice.
Selon la loi même, des centaines de milliers d’entre nous ne seront plus Français comme les autres. Français de circonstance. Français cosmétiques. Demi-Français. Comment peut-on ne pas voir le gouffre vertigineux qu’ouvrirait ce reniement de l’égalité républicaine ? (...)
Les Français qui, comme certains des terroristes du 13 novembre, se mettent au service des ennemis du pays et massacrent leurs compatriotes méritent qu’on les pourchasse, s’ils en réchappent qu’on les prenne, qu’on les juge et qu’on les punisse au niveau de leur forfait. Qu’ils ne somment Hauchard[1] ou Coulibaly[2]. Ceux qui vivent paisiblement et font tout naturellement société avec leurs compatriotes méritent d’être protégé par une République qui ne fait pas acception des confessions religieuses, des couleurs de peau ou des étymologies patronymiques. Qu’ils se nomment Hauchard ou Coulibaly.
Je ne dispose que de la nationalité française. Du fait de sa mère qui n’est pas née Française, mon fils né Français a deux passeports. On prévoit donc de tracer une frontière entre lui et moi, entre nos droits, entre nos obligations vis-à-vis de cette patrie que je lui ai donnée en héritage. Ça me fait vomir.