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Criminels, voyous, taulards : détestés dans la vie, adulés au ciné
Article mis en ligne le 30 janvier 2018

Conditions de détention honteuses, surpopulation, agressions de surveillants... l’actualité carcérale fait la une. Mais alors que les « vrais » prisonniers suscitent rarement l’empathie dans la population, les taulards peuvent être rendus très sympathiques par la magie du cinéma.

Curieux paradoxe : les politiques s’insurgent lorsque des gardiens de prison sont agressés, mais ils savourent (comme beaucoup) les films mettant en scène des taulards qui tiennent tête à l’autorité judiciaire. Le public écoute assez couramment des morceaux de musique... appelant au meurtre de policiers.

Dans la vraie vie, les prisonniers sont marginalisés au point que leur compagnie une fois dehors est évitée. Selon un sondage Ifop en 2016 cité par Europe 1 pour Ouest France, un Français sur deux pense que la prison doit avant tout priver de liberté. En 2000, ils n’étaient que 21% à penser la même chose. L’opinion publique se crispe et voit moins la prison comme un outil de réinsertion que comme une arme de répression. (...)

Pourtant au cinéma, les prisonniers sont presque toujours des héros positifs, intelligents et vers qui va l’empathie. Les taulards et plus largement les truands ont au cinéma un grand prestige, celui du rebelle qui n’obéit pas aux règles et aux normes établies par la société. La culture anti-flics s’est largement démocratisée. La haine de l’autorité pénitentiaire fait partie de la culture populaire. Le gardien de prison au cinéma est toujours l’archétype du salaud, rarement le prisonnier. Claire Mercier, professeure de cinéma à Paris 8, rappelle que « le cinéma est un art du peuple et de la subversion ».(...)

Au cinéma, on ne soutient jamais le geôlier, mais plutôt les prisonniers, même s’ils sont enfermés pour meurtre. De son vivant, Jacques Mesrine était un truand affublé d’une aura qui a inspiré le cinéma. Deux films de Jean-François Richet –L’Instinct de mort et L’ennemi public numéro 1– en font presque un martyr. D’ailleurs, l’affiche du second rappelle l’iconographie chrétienne. Le profil de Mesrine en gros plan, tête baissée et ensanglantée. L’art cinématographique glorifie la mort d’un grand voyou.

L’évadé héroïque (...)

Les comédies muscicales aussi
La comédie musicale exploite aussi le motif du taulard positif. The Blues Brothers, de John Landis, sorti en 1980, montre deux ex-prisonniers attachants. Ils récoltent de l’argent pour sauver un orphelinat catholique endetté tout en affrontant des fascistes américains tout au long du film. La police a également le mauvais rôle –elle est avec les nazis, seule autorité à s’opposer à la « mission » des Blues Brothers. Le film est ponctué de morceaux de musique joués par des artistes de blues et de rythm n’ blues tels John Lee Hooker, Aretha Franklin, Ray Charles et Cab Calloway qui y tiennent la vedette (...)

Le hors-la-loi, un incontournable de la culture
Il existe aussi une tradition littéraire de fascination pour les hors-la-loi : Arsène Lupin, personnage créé par Maurice Leblanc en 1905, ou encore le légendaire Robin des bois dont l’origine remonte au XIIe siècle et dont on sait que des comptines faisaient les louanges au XIVe siècle en Angleterre. Le classique Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, raconte la vengeance d’un évadé enfermé à tort. L’auteur en profite pour dénoncer l’injustice des institutions et du pouvoir.

Le rap est le moyen d’expression de la hargne antiflic, comme « Fuck Tha Police » de NWA en 1988 ou « Violent » de 2Pac qui dénonce les violences policières. (...)

Les réformes peuvent-elles changer la donne ?

Des réformes du système judiciaire ont été annoncées par Emmanuel Macron. Les prisonniers devraient être éduqués avec des formations qualifiantes, les surveillants et personnels administratifs se comporter humainement. Si c’était le cas, l’équation pourrait-elle s’inverser pour le taulard au cinéma ? Est-on à un tournant dans l’imagerie populaire du voyou au sens noble du terme ?

Pas si sûr. Même si la population durcit son opinion sur les prisonniers réels, le cinéma, subversif, continuera sûrement d’inverser les codes moraux, de rendre aimable les criminels et d’accentuer le côté détestable des forces de l’ordre. En conclusion, le taulard de fiction a plus de chance de rester sympathique aux yeux du public que les conditions de détention des vrais prisonniers de s’améliorer.