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Covid et industrie pharmaceutique : « Les États peuvent reprendre la main sur les brevets »
Article mis en ligne le 3 avril 2021
dernière modification le 2 avril 2021

Même en pleine pandémie, les entreprises pharmaceutiques décident seules du prix des vaccins et de qui les produit. Cette course aux profits menace l’accès aux soins. Entretien avec Olivier Maguet, auteur de La Santé hors de prix.

L’épidémie de Covid repose la question de la toute puissance des grandes entreprises pharmaceutiques quand il s’agit de décider à quel prix et à qui elles vendent leurs médicaments et vaccins. Dans son livre La santé hors de prix : l’affaire Sovaldi, paru fin 2020, Olivier Maguet, chargé de mission bénévole à Médecins du monde, donne à comprendre le pouvoir des labos à partir de l’exemple du médicament contre l’hépatite C qui a été mis sur le marché en 2014 à un prix tel — 41 000 euros la cure en France— que le gouvernement français avait alors décidé de le rationner (...)

« La fin inéluctable de ce système sera de se retrouver avec deux ou trois grandes entreprises pharmaceutiques d’un côté, et la faillite des systèmes de sécurité sociale de l’autre »

Les groupes pharmaceutiques se sont coupés de leur propre recherche — Sanofi en est l’exemple en France. Le seul moyen qu’ils ont de se développer est d’acheter des brevets, au prix fort. (...)

Beaucoup de médicaments qui obtiennent un brevet ne respectent pas le critère de l’inventivité, obligatoire pour un brevet. Donc, de nombreux médicaments ne méritent pas ces brevets. En plus, si un brevet même mérité est détourné de son principe, l’État peut agir. Dans la philosophie des brevets telle qu’elle est formulée par les révolutionnaires états-uniens et français au 18ème siècle, c’est un outil de progrès social. La contrepartie, c’est que l’inventeur met à disposition du plus grand nombre son invention. Quand un industriel du médicament refuse de fournir un médicament parce qu’un État ne paie pas assez cher, c’est contre l’esprit des brevets. Les États ont des outils à leur disposition pour s’opposer à cette mauvaise utilisation. La France a, par exemple, associé à sa loi sur les brevets de 1959, reprise dans la loi de 1968, un dispositif dit de « licence d’office », qui consiste à casser le brevet pour ouvrir la voie à un concurrent si l’industriel qui détient le brevet vend son médicament à un prix anormalement élevé qui en empêche l’accès aux plus grand nombre.

« La France pourrait changer la donne en tapant du poing sur la table avec une licence d’office bien sentie, tout en recadrant la recherche publique » (...)

Mais le gouvernement français n’a jamais utilisé la licence d’office ?

Jamais. Il en a un agité la menace sur le cas de la pilule abortive à la fin des années 1980. Quand sort la pilule abortive [dite RU 486], les mouvements anti-avortement intégristes s’y sont opposés. Le laboratoire producteur [Roussel-Uclaf] a pris peur et renoncé à la produire. Le ministre de la Santé d’alors, Claude Évin (PS), a menacé de recourir à la licence d’office pour ouvrir la production à un concurrent même si celui-ci n’avait pas le brevet. Car il y a deux motifs à l’utilisation de la licence d’office pour un médicament : être vendu à un prix anormalement élevé, ou être mis à disposition du public dans des quantités insuffisantes. La menace avait rapidement poussé le labo à relancer ses lignes de production (...)

L’Inde et l’Afrique du Sud mènent une initiative au sein l’Organisation mondiale du commerce pour lever tous les brevets sur les vaccins, traitements et outils de diagnostics contre la Covid. La France, l’Allemagne, les États-Unis, la plupart des pays riches s’y opposent. Quel regard portez-vous sur ce positionnement ?

Je trouve ça lamentable mais ça ne m’étonne pas. Nous n’avons pas aujourd’hui la classe politique qui a la volonté, le courage, d’engager ce débat. Or, tant que les lignes ne bougent pas dans les pays du Nord, ça ne marchera pas. Le combat politique sur le sujet doit être mené dans nos parlements, lors de nos élections, dans les pays riches, pour placer cette question au cœur des discussions politiques et faire en sorte qu’on ait bientôt une nouvelle génération d’élus qui changent de braquet.