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La vie des idées
Covid-19, chronique d’une émergence annoncée
Ce texte est tiré de la conférence prononcée par Philippe Sansonetti au Collège de France le 16 mars 2020
Article mis en ligne le 19 mars 2020

Qu’est-ce que Covid-19 et le coronavirus ? Quels sont les paramètres, les causes, les effets de cette maladie ? Quelles perspectives à court et à long terme ? Spécialiste des maladies infectieuses, Philippe Sansonetti explique pourquoi le sort de l’épidémie est entre nos mains.

Covid-19 est un fléau ; il est urgent et vital pour notre société de s’en convaincre. Il n’est pas trop tard, mais le temps presse.

C’est la troisième émergence d’un coronavirus en moins de vingt ans. Il y a eu le SRAS en 2003, le MERS en 2012, et maintenant le Covid-19. À chacun de ces épisodes, on s’est inquiété, puis rassuré, et pas grand-chose n’est arrivé ensuite pour prévoir et anticiper, en termes de thérapeutique et de vaccin. Aujourd’hui, en l’absence de traitement et de vaccin, l’évolution de cette épidémie est entre nos mains. (...)

Qu’est-ce que le coronavirus ?

Les coronavirus sont une immense famille de virus, qui sont des virus à ARN (acide ribonucléique), à simple brin « positifs », ce qui signifie que cet ARN est traduit directement en protéines qui forment à la fois la structure et toute l’ingénierie de réplication et de multiplication de ce virus. C’est une très grande famille, avec laquelle nous vivons en permanence, puisque les Alpha-coronavirus sont présents chez les mammifères, dont l’homme, c’est une cause chez les enfants en particulier de maladies respiratoires et intestinales bénignes : de ce point de vue, il n’y a ici rien de nouveau en matière d’étiologie de ce type de maladie. Le problème est que d’autres coronavirus de cette famille, les Bêta-coronavirus, sont plutôt adaptés aux mammifères, en particulier à la chauve-souris qui en est le réservoir primaire, mais assez peu adaptés à l’homme ; ce qui fait que lorsqu’ils passent chez l’homme, on peut voir des collisions et des dégâts, liés à cette rencontre entre un micro-organisme et un hôte qui ne sont pas adaptés l’un à l’autre. D’autres membres de cette famille, les Gamma et Delta-coronavirus sont présents chez les oiseaux et les poissons, et pour l’instant en tout cas ne nous ont pas concernés en matière d’émergence.
L’identification du virus

Nous devons aussi relever les aspects positifs dans ce qui se passe aujourd’hui, aspects qui par moments passent au second plan. Le premier d’entre eux, c’est la rapidité très inhabituelle avec laquelle cette épidémie a été initialement détectée dans la ville de Wuhan en Chine, dès que les médecins ont noté ces cas bizarres de pneumopathie, dont certains déjà graves. Le diagnostic qui, il y a encore dix ou vingt ans, aurait pris des semaines, voire des mois parce qu’il fallait isoler le virus et l’identifier, a été établi par des méthodes moléculaires en quelques jours sinon en quelques heures, grâce au progrès du séquençage profond dit de nouvelle génération, et de la bio-informatique qui a permis d’identifier tout de suite cet ARN étranger dans les échantillons de ces individus infectés, et de développer en temps réel le système d’amplification spécifique de ces virus, de manière à produire très rapidement un diagnostic et d’initier les études épidémiologiques. (...)

malgré les retards initiaux à prendre conscience et à communiquer sur cette épidémie, on peut rendre hommage aux médecins et biologistes chinois qui ont réussi à identifier le virus très rapidement.
L’extension pandémique du virus

On est passé rapidement des « clusters » à une situation épidémique sur l’ensemble du pays : le problème n’est plus le blocage des frontières ou d’autres idées archaïques. Les frontières sont aux portes de notre appartement. (...)

pour l’instant assez peu de cas dans les pays du Sud, dans les zones intertropicales. Certains attribuent cet effet au climat ; on aimerait que cela soit le cas, car cela pourrait signifier qu’avec « le réchauffement de la température au printemps », comme le dit D. Trump, les choses peuvent s’arranger – mais ce n’est pas une base scientifique solide. Il y a néanmoins probablement d’autres raisons, qui ne sont pas encore claires, j’y reviendrai.

C’est donc bien une pandémie : on n’en est plus à la recherche du cas zéro et à la reconnaissance des chaînes de transmission. (...)

Les paramètres de l’épidémie

Quels en sont les paramètres ? Le R0 (taux de reproduction de base), c’est le nombre moyen d’infections secondaires produites lorsqu’un individu infecté est introduit dans une population où l’ensemble des individus sont sensibles. Si le R0 est inférieur à 1, il n’y a pas de situation épidémique ; dès qu’il est supérieur à 1, il y a épidémie. Dans le cas de Covid 19, ce nombre se situe entre 2 et 3. C’est donc bien une situation épidémique typique. Pour la grippe espagnole de 1918-1919, le R0 était de 2, 3 ; la tuberculose, c’est 10, donc extrêmement contagieux ; la rougeole, de 12 à 18.

La durée d’incubation est de 5 à 6 jours. Il existe cependant des incubations plus longues, jusqu’à 14 jours, d’où la durée d’isolement requise. L’intervalle intergénérationnel, c’est-à-dire le temps qui se passe entre le moment où la personne infectée rencontre une personne naïve (vierge de tout traitement) et le moment où celle-ci va développer la maladie, est de 4 à 7 jours. Le fait que ces deux paramètres soient presque identiques montre que les malades sont contagieux dès le début (...)
les gens transmettent alors qu’ils sont encore asymptomatiques, ou commencent à avoir de petits symptômes qui n’inquiètent pas, alors qu’ils devraient déjà s’isoler le plus rapidement possible.

Le taux d’attaque (le nombre d’individus nouvellement infectés par rapport à l’ensemble de la population naïve) est élevé (bien supérieur à la grippe saisonnière). Nous n’avons, par définition, pas encore de chiffres sur le pourcentage de la population française qui pourra être réellement infectée. (...)

Dans les formes graves, qui sont environ 10 à 15 % des cas, les hospitalisations sont en moyenne de l’ordre de 11 +/- 4 jours (entre 7 et 15 jours), ce qui menace comme on sait notre système de santé.

C’est donc une maladie à fort potentiel épidémique, avec mise en tension majeure du système sanitaire, et c’est ce qui a décidé les autorités de mettre en place des stratégies pour atténuer l’évolution de la maladie. Cela est parfaitement justifié. (...)

Le taux de mortalité est relativement faible. Quand on fera le bilan complet de cette pandémie, on s’apercevra fort probablement qu’il était de 1 à 2 %. Il paraît plus élevé dans les périodes d’accélération de l’épidémie comme c’est le cas actuel en France, pas nécessairement parce que les maladies sont plus graves dans cette période, mais simplement parce qu’on court après les chiffres : les chiffres de mortalité sont indiscutables, tandis que les chiffres de personnes infectées par le virus sont toujours bien supérieurs à ce qu’on peut observer. (...)

Mais ce taux de mortalité pourrait augmenter dans cette situation que nous traversons de mise en tension du système médical, et de disponibilité de lits de réanimation. 1 % de mortalité, 10 % de cas sévères, ce n’est pas énorme statistiquement, mais rapporté au nombre de cas d’infection, compte tenu de la transmissibilité et de l’infectiosité du virus, cela peut commencer à faire des valeurs absolues importantes qui peuvent mettre en danger notre système de santé. C’est ce qui légitime cette politique d’atténuation.

Le saut d’espèce et la responsabilité humaine (...)

Le Covid-19 est un cas d’école d’émergence infectieuse, qui est dû à un saut d’espèce (« zoonose »). Depuis des dizaines d’années maintenant on assiste à ces zoonoses, en particulier dans les régions tropicales (Ebola, par exemple) : ce sont des virus adaptés aux espèces animales qui passent dans l’espèce humaine ; de là plusieurs scénarios.

Soit le virus est mal adapté et a peu de capacités de muter et donc de s’adapter pour s’y stabiliser. L’infection humaine est abortive : l’adaptation est mauvaise, et il n’y aura pas de transmission interhumaine ; chez le premier individu concerné le processus va s’arrêter. Le processus peut cependant donner lieu à des maladies éventuellement graves comme ce fut le cas pour la grippe aviaire H5 N1, due à des cas de transmission directe de l’oiseau à l’homme, avec une mortalité très élevée, de l’ordre de 60 %., mais sans transmission interhumaine. (...)

D’autres virus sont en revanche mieux adaptés d’emblée à ce passage de l’animal (notamment mammifère) à l’homme, et l’enzyme qui réplique ce brin d’ARN fait beaucoup d’erreurs, ce qui génère des mutations qui augmentent les chances d’adaptation du virus. C’est le cas du SARS-CoV-2, qui est passé relativement facilement de la chauve-souris à l’homme via un mammifère, réservoir intermédiaire. C’est donc un cas typique. La maladie était plus grave et le taux de mortalité plus important dans le SRAS (10 %) et le MERS (35 %). Ici, le virus donne moins de pathologies graves, mais on a une sorte d’équilibre (trade off) : étant moins virulent, il est plus transmissible. Cet équilibre est extrêmement important pour définir le profil de la maladie.

Le réservoir naturel, c’est certaines espèces de chauve-souris : il est impressionnant de voir jusqu’à quel point ces animaux sont capables de porter ces virus émergents, comme les corona. (...)

Se crée alors une zone de risque autour de l’homme, puisque tout contact de l’homme avec ces animaux réservoirs peut éventuellement donner lieu à un saut cette fois dans l’espèce humaine, et à la survenue de la maladie. (...)

Pour le SARS-CoV-2, on pense que l’animal est le pangolin (autrefois nommé le fourmilier) dont de nombreux travaux ont montré que le virus était très proche de celui qu’on observe chez l’homme ; et ce qui montre que ces maladies émergentes sont l’effet du comportement humain, c’est le trafic de ces animaux : on estime qu’environ un million de pangolins passent de leur territoire africain en Asie, parce que les populations asiatiques sont friandes de leur viande ainsi que de leurs écailles. La composante humaine joue un rôle dans toutes les maladies émergentes : ces petits animaux étaient vendus sous l’étal dans ce marché aux poissons de Wuhan et c’est là que les personnes se sont contaminées.

Quand on est retourné après l’épidémie de SRAS sur les marchés vendant des civettes, on a constaté que 70 % des marchands étaient séropositifs au coronavirus. On voit donc qu’il existe des zones de passage permanentes pour le saut d’espèce, et puis parfois, d’un seul coup, parce que le virus a muté, qu’il a acquis un petit fragment de génome supplémentaire, il devient parfaitement adapté au passage chez l’homme. On est donc constamment menacé par ces maladies émergentes. Ce sont des maladies d’anthropocène : pour l’essentiel voire exclusivement, elles sont liées à la prise en main de la planète et à l’empreinte que l’homme y laisse. Ce qui est valable pour le climat, pour l’environnement, est tout aussi valable pour les maladies infectieuses, en particulier émergentes, et les trois sont liés. (...)

Pour le SARS-CoV-2, on pense que l’animal est le pangolin (autrefois nommé le fourmilier) dont de nombreux travaux ont montré que le virus était très proche de celui qu’on observe chez l’homme ; et ce qui montre que ces maladies émergentes sont l’effet du comportement humain, c’est le trafic de ces animaux : on estime qu’environ un million de pangolins passent de leur territoire africain en Asie, parce que les populations asiatiques sont friandes de leur viande ainsi que de leurs écailles. La composante humaine joue un rôle dans toutes les maladies émergentes : ces petits animaux étaient vendus sous l’étal dans ce marché aux poissons de Wuhan et c’est là que les personnes se sont contaminées.

Quand on est retourné après l’épidémie de SRAS sur les marchés vendant des civettes, on a constaté que 70 % des marchands étaient séropositifs au coronavirus. On voit donc qu’il existe des zones de passage permanentes pour le saut d’espèce, et puis parfois, d’un seul coup, parce que le virus a muté, qu’il a acquis un petit fragment de génome supplémentaire, il devient parfaitement adapté au passage chez l’homme. On est donc constamment menacé par ces maladies émergentes. Ce sont des maladies d’anthropocène : pour l’essentiel voire exclusivement, elles sont liées à la prise en main de la planète et à l’empreinte que l’homme y laisse. Ce qui est valable pour le climat, pour l’environnement, est tout aussi valable pour les maladies infectieuses, en particulier émergentes, et les trois sont liés. (...)

Il y a donc une histoire en trois épisodes : 1/ ces accidents de sauts d’espèce, 2/ le débordement éventuel, si le saut d’espèce remplit le cahier des charges et que l’homme peut être infecté et transmettre à d’autres individus, et 3/ l’explosion pandémique, du fait des transports intercontinentaux. (...)

Les objectifs sont d’écraser le pic épidémique de manière à préserver notre système sanitaire, à ne pas l’engorger avec des malades en état grave. Le problème est que les mesures qui ont été déclinées jusqu’à présent ont été manifestement insuffisantes, comme on l’a vu en Italie. Il faut alors en arriver à l’isolement, au confinement à domicile, ce qui relève du bon sens compte tenu de la dynamique intrinsèque de l’épidémie. Il faut prendre conscience de la gravité de la situation. On peut toujours penser que ça ne tombera pas sur soi. La seule bonne nouvelle est que les enfants de 0 à 9 ans ne sont pas touchés. Mais l’effet collectif est très important. Nous sommes tombés en quelques jours dans un autre monde. Il faut changer notre logiciel. (...)

Plus l’épidémie progressera, plus le contrôle sera difficile voire impossible, et plus on sera forcé de laisser les choses se faire. C’est maintenant qu’il faut agir. On voit encore dans la population trop d’attitudes inadaptées et inconscientes ces jours derniers. Le message n’est pas encore entré.

Nos autorités sanitaires sont confrontées à trois options principales : (...)

Les traitements

Outre la prévention, il est indispensable de trouver des traitements antiviraux pour diminuer le degré de gravité de certaines formes de la maladie et bloquer la transmissibilité d’individu à individu si un usage large en était possible. Il s’agit d’abord du « repositionnement » de certains médicaments déjà éprouvés pour d’autres virus (comme le VIH), puis d’autres plus spécifiques de ce virus… et de ceux qui risquent de suivre.

Il est aussi urgent de mieux comprendre la physiopathologie du SDRA afin d’en développer une pharmacologie dédiée utilisant des molécules repositionnées puis des molécules véritablement nouvelles. (...)

Ces maladies, comme Covid-19, font partie des maladies émergentes de demain. Il faut absolument trouver un vaccin efficace. La conception, la mise au point, la recherche et le développement, la validation, les études cliniques, les enregistrements auprès des agences de régulation, tout cela prend entre 8 et 12 ans pour un vaccin standard. C’est incompatible avec l’urgence d’une émergence. La capacité d’identifier de nouvelles cibles vaccinales s’est considérablement améliorée ces dernières années. On a déjà des vaccins candidats qui vont commencer à rentrer en essais cliniques, gérés de manière à aller le plus vite possible. Mais on sait que tout cela prendra au moins une année et ne permettra que de gérer les rebonds, les étapes finales, voire de prévenir la maladie dans d’autres continents comme l’Afrique, où des mesures d’isolement seront difficiles. Le vaccin est essentiel, tout le monde est concerné : l’Institut Pasteur, l’Inserm, etc. Mais il y a un temps scientifique de développement, et dans cette phase de vide, c’est nous, la façon dont nous comprenons cette maladie et la nécessité de ces mesures d’isolement et d’hygiène individuelle, qui avons notre destin entre nos mains. Ce n’est pas tous les jours que notre destin est aussi marqué par un événement. Les guerres modernes, ce sont les maladies infectieuses. Notre vie va changer.