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Coronavirus, pas de panique !
Article mis en ligne le 5 mars 2020

Le coronavirus est-il plus mortel que la grippe ? Risque-t-il d’aggraver les tendances autoritaires de certains gouvernements ? L’épidémie peut-elle être un « game changer » de la mondialisation ? Reporterre répond à cinq questions sur le Covid-19 grâce à des experts et des rappels historiques.

Quelle est la dangerosité du coronavirus par rapport à la grippe saisonnière ?

L’épidémie de coronavirus (Covid-19), qui a été signalée pour la première fois à Wuhan (Chine) le 31 décembre 2019, a déjà causé plus de 3.000 morts, dont 2.912 en Chine et trois en France. C’est bien moins que la grippe saisonnière, responsable de 290.000 à 650.000 décès par an dans le monde,dont 10.000 en moyenne en France, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Mais ces bilans sont difficilement comparables (...)

Comment expliquer la panique causée par l’épidémie ?

D’après les chiffres – faible taux de morbidité pour le moment, taux de létalité modéré – et les médecins, l’épidémie de coronavirus est préoccupante mais ne devrait pas non plus susciter de psychose. Pourtant, des mouvements de panique ont été observés, avec notamment une ruée sur les masques médicaux en Corée et un peu partout dans le monde.

Pour Freddy Vinet, « ce qui inquiète les gens, c’est l’inconnu. Les gens connaissent la grippe, mais pas le coronavirus, ses symptômes, la durée de la maladie, le risque de mourir. Le mot lui-même, qui contient le mot virus, inquiète. Paradoxalement, la grippe espagnole de 1918, assimilée à une grippe – donc une maladie considérée comme bénigne – n’a pas suscité de panique générale. Surtout que les gens avaient d’autres problèmes à gérer, notamment la guerre. » (...)

La plupart des épidémies charrient leur lot de peurs irrationnelles, observe pour sa part Norbert Gualde, professeur d’immunologie à l’Université Bordeaux (...)

Le début de l’épisode de coronavirus a aussi entraîné un déferlement de xénophobie et de racisme anti-chinois un peu partout dans le monde avec son lot d’agressions ou de mise en quarantaine. Là encore, c’est un classique de l’histoire des épidémies. « Lors des épidémies de peste, les docteurs, la foule, l’Église proposèrent des explications et à défaut désignèrent des coupables. Dans la majorité des cas, le bouc émissaire était autre, hétérodoxe, opposé ; il était lépreux, juif, gitan, vagabond, prostitué, bossu ou suspect de sorcellerie (...)

Pour Anne-Marie Moulin, ces réactions excessives de la population sont alimentées par les médias. « Les bulletins d’information sont diffusés dans tous les médias, en temps réel ; tout le monde disserte sur le sort du malade de Creil ; des gens qui ne savaient pas ce qu’est un virus connaissent le coronavirus ; les députés et le Premier ministre réagissent et le coronavirus devient la préoccupation principale, déplore-t-elle. Pendant ce temps, les autres sujets importants régressent, à cause du primat de l’actualité sur les questions de long terme. »
L’épidémie risque-t-elle aggraver les tendances autoritaires de certains gouvernements ?

En Chine, les réseaux sociaux sont étroitement surveillés depuis le début de l’épidémie et deux journalistes citoyens, lanceurs d’alerte sur le coronavirus, ont disparu. L’Iran est également accusé d’avoir dissimulé des informations sur la propagation du virus dans le pays et d’avoir sévèrement réprimé des journalistes indépendants et des internautes qui avaient diffusé des chiffres plus précis. « L’embargo sur l’information est un phénomène courant, relève Anne-Marie Moulin. Les gouvernements mettent du temps à admettre qu’il y a un problème. Cela s’est déjà observé lors d’épidémies de choléra en Guinée, ou encore au Niger où le gouvernement a tardé à déclarer les premiers cas de méningite, attendant qu’il y ait plusieurs morts avant d’enclencher une vaccination préventive. » Les mises en quarantaine, les restrictions de circulation… peuvent également servir aux gouvernements à exercer un contrôle plus étroit sur leurs opposants. (...)

Freddy Vinet, lui, met en garde contre une instrumentalisation politique des mesures sanitaires. « Le risque de dérive apparaît quand des mesures sont adoptées qui ne sont pas justifiées par des considérations médicales, mais pour des raisons politiques ou pour satisfaire la population. C’est le cas lorsqu’Éric Ciotti, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan réclament des contrôles aux frontières, indique-t-il. C’était déjà le cas lors de l’épidémie de grippe espagnole de 1918 (...)

L’épidémie peut-elle être un « game changer » de la mondialisation ?

Dans un rapport publié lundi 2 mars, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) alerte sur le fait que l’économie mondiale est confrontée à son « plus grave danger depuis la crise financière » de 2008, alors que l’épidémie de coronavirus a « déjà engendré des souffrances humaines considérables, ainsi qu’un grand chambardement économique ». Selon l’organisation d’études économiques, la croissance économique mondiale pourrait être 0,5 à 1,5 % plus basse que prévue, selon la gravité du scénario retenu. En France, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé lundi que l’épidémie aurait un impact « beaucoup plus significatif » que prévu sur la croissance au premier semestre – laquelle avait déjà été revue à la baisse de 0,1 %. (...)

Pour Christophe Blot, directeur adjoint du département d’analyse et de prévision de l’OCDE, l’épidémie a rappelé à tous l’étroitesse de l’interconnexion entre les économies mondiales : (...)

« On a du mal à voir comment l’épidémie pourrait fondamentalement changer les règles du jeu, tempère Christophe Blot. Ce qui peut vraiment changer les règles du jeu, c’est plutôt la politique commerciale de Donald Trump. (...)

Un effondrement de nos sociétés est-il à craindre ?

L’histoire de l’humanité a été marquée par les grandes épidémies : la peste entre le VIIe et le XXe siècle, avec des réminiscences encore aujourd’hui à Madagascar ; le choléra à partir de 1820 ; la fièvre jaune ; la variole ; le sida… Certaines d’entre elles ont eu des conséquences historiques importantes. « C’est le cas de la peste, qui a décimé l’empire byzantin et a certainement favorisé l’expansion de l’Islam, et qui a aussi favorisé le déclin de grandes villes italiennes qui ne s’en sont jamais relevé », rappelle Anne-Marie Moulin.

« Pour autant, les politiques intérieures sont rarement frappées, poursuit la médecin et philosophe. Ironiquement, on peut dire que les épidémies font rarement sauter les dictateurs. Y compris les épidémies chroniques, comme le sida, qui ont des effets sociaux plutôt que politiques » en mettant un coup de frein à la libération sexuelle des années 1970. (...)