Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Condamnée à 125 000 euros pour avoir dénoncé la présence de pesticides dans du vin
Article mis en ligne le 26 février 2021

Valérie Murat était poursuivie en justice pour avoir, sur la base d’analyses, accusé des vins certifiés « haute valeur environnementale » de contenir des molécules toxiques. Contactée par basta !, elle annonce faire appel.

« Le tribunal donne raison à l’omerta. » Valérie Murat, et la petite association Alerte aux toxiques dont elle est porte-parole, viennent d’être condamnées en première instance ce 25 février par le tribunal de Libourne pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière » des vins de Bordeaux. Le tribunal leur ordonne de payer 100 000 euros de dommages et intérêts au conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), ainsi que 25 003 euros à d’autres plaignants du monde du vin. Pour son avocat, Eric Morain, contacté par basta !, « le tribunal a ordonné l’exécution sociale de Valérie Murat dans une décision éminemment contestable et orientée », soulignant que sa cliente ne dispose pas d’une telle somme. « Le seul droit dont on n’a pas encore privé ma cliente est celui de faire appel, elle le fera sans délai et ira jusqu’au bout. Jamais une procédure bâillon n’aura si bien porté son nom. »

Comment en est-on arrivés là ? Fille de viticulteur, Valérie Murat s’est engagée dans la lutte contre les pesticides après la mort de son père d’un cancer du poumon, reconnu comme maladie professionnelle, et a créé l’association Alerte aux toxiques. En 2020, elle réalise une campagne d’analyse sur 22 bouteilles de vins, issues pour la plupart de domaines bordelais. Elle cible des vins affichant la certification HVE (Haute valeur environnementale) ou se référant à une pratique vertueuse. Les résultats des analyses, publiés en septembre dernier, montrent que toutes les bouteilles contiennent des molécules – sept en moyenne – considérées comme des perturbateurs endocriniens potentiels. Dans onze bouteilles, des traces de substances classées CMR probables – c’est à dire cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques – ont été mises en évidence. Neuf bouteilles renferment au moins un des fongicides dits SDHI. « Ces résultats montrent des écarts importants entre le marketing, les promesses et la réalité des pratiques professionnelles », commentait alors Valérie Murat. (...)

« Ce sont les mélanges, les effets cocktails, même de substances mesurées en dessous des seuils, qui sont dangereux » (...)

Selon la décision qu’a pu consulter Basta !, le tribunal reproche à Valérie Murat d’avoir « fait le choix d’une communication volontairement anxiogène, sans aucune explication sur le mode de dangerosité d’une substance, ni sur les taux constatés. » Les tests avaient été confiés au laboratoire Dubernet, spécialisé dans les analyses œnologiques. Depuis la publication des analyses, le laboratoire a indiqué que les teneurs retrouvées étaient à chaque fois « très largement inférieures » aux limites maximales de résidus autorisés. La biologiste Barbara Demeneix (du CNRS) ne partage pas cette minoration du risque toxique : « Pour les perturbateurs endocriniens, ce n’est pas la dose qui compte. Ce sont les mélanges, les effets cocktails, même de substances mesurées en dessous des seuils, qui sont dangereux » confiait-elle avant l’audience (...)

Le tribunal a décidé néanmoins de reprendre à son compte le point de vue du laboratoire, mettant en avant dans ses motifs que l’« on ne peut parler de toxicité sans approche quantitative », ce qui est scientifiquement faux. Il reproche de ne pas avoir fait mention des analyses « dans leur intégralité », « avec un choix de bouteilles ciblées », « occultant des comparaisons avec des vins bio », et considère que le rapport « ne peut pas être considéré comme étant mesuré

La Gironde, premier département épandeur de pesticides (...)

L’usage intensif de pesticides dans le Bordelais est pourtant documenté de longue date, comme nous l’avions détaillé dans cette enquête publiée en 2016 et intitulée « La majorité des vins de Bordeaux vont-ils rester accros aux pesticides ? ». L’étude publiée en mai 2020 par le Commissariat général au développement durable, sur la hausse des ventes d’insecticides, fongicides et herbicides depuis 10 ans en France, confirme cette tendance [2]. Avec plus de 3600 tonnes de pesticides vendus en 2018, c’est bien le département de la Gironde où sont produits les vins de Bordeaux, qui arrive en tête des départements achetant des pesticides. Toujours selon cette étude, la Gironde est aussi le département qui a acheté le plus de glyphosate par hectare entre 2016 et 2018.

« Défendre la santé et la liberté d’expression, et non les produits toxiques » (...)

Contactée par basta ! ce 25 février, Valérie Murat confirme avoir retiré les publications. « Je suis obligée de me plier à la décision de justice mais je n’ai pas dit mon dernier mot. C’est la censure contre la liberté d’expression. Cette décision donne raison aux tentatives de réduire au silence toutes les critiques de la politique menée par le CIVB. » (...)

Plus de 40 ONG et quatre eurodéputés ont d’ores et déjà témoigné de leur soutien et de leur solidarité, et appellent à « défendre la santé et la liberté d’expression, et non les produits toxiques ». « Il faudra me tuer pour me faire taire » assure Valérie Murat. (...)