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Complotisme et position schizo-paranoïde
Vincent Magos Psychanalyste.
Article mis en ligne le 16 novembre 2020

En cette mi novembre émerge le film Hold-Up, emblématique de la tendance complotiste qui explose pour le moment. Comment comprendre le succès de ce film et comment penser la réponse à lui donner ?

En cette mi novembre émerge le film Hold-Up, emblématique de la tendance complotiste qui explose pour le moment, après avoir envahi les USA, avec l’appui d’ailleurs de son président.

Pour dire un mot de Trump ou Bolsonaro, leur attitude relève de la position perverse : JE suis la loi, dit le pervers. Toute autre est la position de la grande majorité des complotistes, chargés d’angoisse, qui sera évoquée ici. (...)

Le film Hold-Up donc, dure plus de deux heures, a été financé par les internautes et est largement diffusé grâce aux réseaux sociaux. Tous les médias lui ont consacré un article, Libération en fait sa une les autres font à minima du fact-checking (Le Monde, par exemple) et décodent les fausses informations. L’un ou l’autre interviewés du film protestent de la manière dont ils ont été manipulés.

Comment comprendre le succès de ce film et comment penser la réponse à lui donner ?

Pour cela, faisons, avec Melanie Klein, un petit détour par le développement de l’enfant avant qu’il n’acquiert le langage. L’enfant vit une alternance de moments de satisfaction et de moments de frustration intenses ; les moments où l’on s’occupe de lui et le nourrit et les périodes où il est laissé à lui-même, moments de grande angoisse, voire d’agonie. Pour supporter cette angoisse, pour supporter cette alternance de présence et absence, il va les cliver et considérer qu’il est face un bon et un mauvais. Pour prendre une image : le bon et le mauvais sein, celui qui donne et celui qui persécute. Le bébé effectue également un clivage intérieur : sa toute puissance lui permet de faire advenir le bon et dénier le mauvais.

Comment l’enfant sort-il de cette position ?

Si l’enfant est soigné de manière adéquate et constante, il va peu à peu intégrer que c’est la même personne qui prend soin de lui, celle qui donne mais s’absente aussi, c’est l’ouverture à l’altérité, à l’ambivalence, mais également à une certaine dépression de part la perte de sa toute puissance imaginaire.

En poursuivant son développement, l’enfant quitte la position schizo-paranoïde, mais en garde néanmoins des traces. Plus tard, dans certaines situations, l’adulte peut régresser et retomber dans cet état, par exemple quand l’environnement devient instable et angoissant. Il va alors se construire un monde fait de bons et de méchants.

Face à une situation catastrophique, pleine d’inconnues et des pouvoirs publics changeants il n’est pas étonnant qu’une partie de la population trouve du réconfort et un sentiment de maîtrise dans le complotisme.

Alors, que faire ?

Tout d’abord, il y a lieu d’accepter l’idée que le fact-checking n’a de l’effet - et sans doute un effet préventif - que sur les personnes qui n’ont pas encore versé dans le complotisme. Par contre démonter les allégations n’a aucun effet sur les complotistes, au contraire. Toute tentative de remettre de la complexité, de la nuance, ne peut que réveiller l’angoisse et donc pour s’en défendre, pousser au clivage et aux tendances paranoïaques.

On voit bien d’ailleurs à quel point les supporters du film prennent toute tentative de décodage ou d’arrêt de diffusion comme une confirmation qu’il y a là une vérité que « le pouvoir » veut faire taire. Le site du film met un fier bandeau « Censuré »

Et quand la réalité vient balayer le complot, l’agressivité de meute émerge. C’est à elle qu’ont dû, par exemple, faire face les auteurs d’une méta-analyse relevant le manque d’efficacité de l’hydroxychloroquine (...)

Face à la pandémie du covid-19, l’État a multiplié les faux pas : manque d’explication, manque d’excuse pour les erreurs, manque de transparence quant aux inconnues auxquelles toutes les nations sont confrontées, injonctions sans mise en perspective… Laisser les citoyens dans une position infantile ne peut que pousser à la passivité ou à la paranoïa. « On nous cache la vérité » (...)