
Nous sommes profondément touchés par l’attention que vous nous portez et nous vous en remercions du fond du cœur.
La création de ce comité de soutien est la confirmation que nous ne sommes pas seuls, dans notre peine comme dans notre questionnement.
Rémy, moi-même, puis peu à peu nos enfants en grandissant, discutions souvent de l’état du monde, de ses dysfonctionnements, et plus particulièrement ces dernières années, de l’évolution conjointe de notre société et du monde du travail. J’ai rencontré Rémy dans les années 80, alors que, moi aussi, je travaillais (en tant qu’auxiliaire) à France Telecom, à une époque où cette entreprise avait encore visage humain. Mes études universitaires me paraissaient souvent bien fades face à l’ambiance chaleureuse et bon enfant qui y régnait alors. Paradoxalement, c’est sur cette période « heureuse » ET génératrice de profits qu’a prospéré la France Telecom Orange que nous connaissons aujourd’hui, celle qui fait rimer incohérences avec souffrance et management avec écrasement.
Je voudrais vous exposer les circonstances et la mécanique infernale qui ont conduit Rémy à s’immoler par le feu sur un site FT un matin d’avril, mais ma peine est encore trop vive pour développer tout cela.
Et puis, même si j’ai les idées et les connaissances nécessaires, est-ce bien à moi d’expliquer ? N’est-ce pas plutôt à ceux qui ont initié la situation et tricoté les circonstances ?
Mes enfants sont dans la même attente. Leur père est mort, mort d’avoir voulu travailler, mort d’avoir voulu travailler dignement, mort d’avoir voulu travail et dignité pour les autres aussi. Comment vont-ils pouvoir évoluer dans une société qui produit de telles aberrations, qui à aucun moment n’en rendrait compte ?
C’est pourquoi nous voulons des explications, des réponses, que des responsabilités soient clairement établies, et si nécessaire, sanctionnées.
Pour cela, la seule voie qui s’ouvre à nous est celle de la Justice, en prenant un avocat et en déposant plainte avec constitution de partie civile pour mise en danger de la vie d’autrui et homicide involontaire.
Le fait que l’enquête interne immédiatement diligentée par son PDG Stéphane Richard ait avalisé la reconnaissance par France Telecom de sa faute inexcusable est un premier pas.
Mais ce n’est que le premier. Nous attendons plus : nous entendons que l’entreprise soit confrontée à ses propres dysfonctionnements, et qu’elle y remédie. C’est trop tard pour Rémy, mais nous espérons que cela puisse servir à toute autre personne confrontée aux mêmes tourments que lui.
Pour mémoire, voici les principaux faits depuis son décès :
• Enquête interne menée par M. JF Colin, visant à étayer si oui ou non le décès de Rémy est imputable au service ;
• les conclusions du rapport allant dans ce sens, France Telecom reconnaît l’accident de service, l’imputabilité au service, et la faute inexcusable de l’employeur (cf. articles du code du travail).
• Ceci permet, dès le 7 juillet, à la commission de réforme de statuer en toute connaissance de cause, et de proposer dans les mêmes termes au service des pensions de l’État de bien vouloir m’accorder une pension de réversion de fait majorée.
• Service qui accepte à son tour. Nous percevons donc mes enfants et moi depuis le mois de novembre (avec rétroaction) le maximum de ce à quoi nous pouvions prétendre, dans des délais plus qu’honorables.
• Parallèlement, l’enquête de la PJ diligentée par le Parquet sur la recherche des causes de la mort aboutit à un classement sans suite de celui-ci : suicide, pas de tiers impliqué. L’adjoint du procureur nous fait donc logiquement part le 27 septembre du classement sans suite de notre dossier.
• Nous savons qu’en interne, deux CHSCT se sont tenus récemment sur le cas de Rémy et qu’un enquête diligentée par cette entité est en cours.
• Nous savons aussi que l’inspection du Travail s’est saisie du dossier.
• Début décembre nous avons déposé notre plainte auprès du TGI de Bordeaux. Dès sa consignation, les organisations syndicales CFDT et SUD se porteront également partie civile.
• Les médias ayant fait preuve de beaucoup de tact à notre endroit lors du décès de Rémy, nous leur avions promis en retour que nous les rencontrerions le moment venu. C’est pourquoi jeudi 15 décembre nous avons tenu une (petite) conférence de presse, afin de les informer de notre action et de ses raisons.
Voilà. Merci à toutes et à tous de votre intérêt bienveillant.
Hélène Louvradoux