
Avez-vous déjà entendu parler du traité sur la charte de l’énergie (TCE) ? Il est probable que non, il est certain que vous devriez. Signé en 1994, impliquant des dizaines de pays, destiné à coordonner les politiques nationales en matière énergétique et à poser un cadre juridique global pour les investisseurs, il pourrait comme l’explique CNBC faire dérailler à lui seul les efforts internationaux en faveur du climat.
Car dans son texte, le TCE offre aux firmes énergétiques une arme fatale contre les États, à qui elle pourrait dans les années à venir coûter des centaines de milliards d’euros si rien ne change.
Devant une très discrète juridiction d’arbitrage, placée en dehors des cadres juridiques habituels, les entreprises ont ainsi la possibilité de réclamer des compensations financières aux États prenant des disposition pour lutter contre le changement climatique et compromettant leurs propres investissements.
Elles ne s’en privent pas : selon un rapport de Global Justice Now, cinq compagnies demandent déjà à certains États des réparations pour un montant total de 18 milliards de dollars (16 milliards d’euros), ce qui est « presque équivalent aux sommes engagées par les pays riches pour aider les nations en développement dans leur lutte contre le changement climatique ».
Deux exemples sont cités : la firme allemande RWE poursuit les Pays-Bas pour obtenir compensation quant à sa décision de bannir progressivement l’exploitation du charbon, et la britannique Rockhopper a engagé une action contre le gouvernement italien, qui a interdit le forage off-shore. (...)
Il n’est certes pas tout à fait illogique que ces entreprises cherchent à récupérer les billes qu’elles ont investi. Mais comme le notait récemment le Wall Street Journal, ce sont des milliers de milliards de dollars d’investissements et infrastructures qui pourraient brutalement perdre leur valeur alors que gouvernements et entreprises cherchent à accélérer la transition énergétique.
Le piège
« Le traité sur la charte de l’énergie est un véritable piège pour les États », commente pour CNBC Yamina Saheb, qui fut membre du secrétariat du TCE mais a quitté ses fonctions lorsqu’elle a compris quel danger représentait la discrète institution pour la lutte contre le changement climatique.
Selon elle, les risques de vétos de certains États, qui peuvent également demander des compensations financières à d’autres États en cas de litige, rendent impossible une éventuelle réforme du TCE. « Soit nous tuons le traité, soit le traité nous tuera », conclue-t-elle, cinglante. (...)
Il y a déjà eu près de 150 de ces demandes, que les firmes ne sont pas obligées de rendre publiques, il pourrait à l’avenir en avoir des milliers : la simple menace de ce déferlement juridique et des frais qu’il représente pourrait, selon certains experts, pousser les États à freiner leurs efforts dans la lutte contre le changement climatique.
L’Italie a pris la décision unilatérale de se retirer du Traité en 2016. Mais une clause l’y attache pour 20 ans supplémentaires. Ses problèmes pourraient rester les mêmes ou se démultiplier jusqu’à 2036 si la communauté internationale ne se décide pas à torpiller purement et proprement le TCE.
C’est ce qu’a plus ou moins fait la Cour européenne de justice, à un niveau intra-communautaire, par un jugement rendu en septembre : c’est un indispensable premier pas mais, pour éviter le désastre, le monde entier doit désormais se mettre à courir.