
Malgré sa puissance démographique et son potentiel dans le développement technologique, l’Inde se trouve dans un piège. S’ajoutant à la faible capacité de création d’emplois de l’économie indienne, le dessèchement des rivières et les catastrophes climatiques qui s’annoncent laissent présager un effondrement. Nous publions les bonnes feuilles du livre dMalgré sa puissance démographique et son potentiel dans le développement technologique, l’Inde se trouve dans un piège. S’ajoutant à la faible capacité de création d’emplois de l’économie indienne, le dessèchement des rivières et les catastrophes climatiques qui s’annoncent laissent présager un effondrement. Nous publions les bonnes feuilles du livre d’Ashoka Mody India Is Broken (Stanford University Press, 2023). (Stanford University Press, 2023).
Pour comprendre le passé de l’Inde, et plus encore pour envisager son avenir, il faut comprendre que l’emploi est la question clef. Les bons emplois sont l’essence même du développement économique, indispensables au bien-être et à la dignité humaine. Ils sont également le point de jonction entre l’économie et la politique de mécontentement social.
En 2019, 12,5 millions de jeunes Indiens, presque tous titulaires d’un diplôme universitaire, ont postulé à 35 000 emplois de commis, de chronométreurs et de chefs de gare dans les chemins de fer indiens. Autrement dit, pour chaque personne qui obtiendrait finalement un poste, 350 seraient laissés sur la touche. Plus de deux ans plus tard, en janvier 2022, les demandeurs d’emploi ont incendié des wagons et vandalisé des biens parce que les autorités ferroviaires n’étaient pas en mesure de tenir leurs maigres promesses en matière d’embauche. La triste réalité est que, pour employer tous les Indiens en âge de travailler, l’économie devrait créer 200 millions d’emplois au cours de la prochaine décennie — un objectif impossible à atteindre après la dernière décennie de baisse des chiffres de l’emploi1.
Ce problème n’est pas nouveau (...)
La démonétisation en 2016, une taxe sur les biens et services mal exécutée en 2017 et le Covid-19 en 2020 et 2021 ont porté des coups de massue au secteur informel sans pour autant créer de nouvelles options. En réalité, le développement technologique a accéléré la destruction d’emplois, en particulier dans le commerce de détail et de gros — si bien que de plus en plus d’Indiens ont tout simplement cessé de chercher du travail. (...)
si les formes les plus graves de pauvreté ont certes reculé, elles touchent encore plus de 20 % des Indiens. 40 % d’entre eux vivent dans la précarité, risquant à tout moment de retomber dans la misère. L’Indien moyen vivait dans cette zone vulnérable — et, si l’on parvient à discerner quelque chose à travers un brouillard de données entretenu par le gouvernement, il y vit toujours. (...)
Le problème — qui n’a pas changé au cours des années qui ont suivi l’indépendance — a été le manque de biens publics pour un progrès partagé : l’éducation, la santé, des villes fonctionnelles, de l’air et de l’eau propres, ainsi qu’un système judiciaire réactif et équitable. Outre la pénurie d’emplois, l’absence ou la mauvaise qualité des biens publics fait de la réalité vécue par un grand nombre d’Indiens une lutte sous la menace constante de l’humiliation et de la violence.
Les problèmes de l’Inde sont profonds : il n’existe pas de solution miracle politique ou technologique. Depuis l’indépendance en 1947, la politique et la société indiennes ont été victimes d’une détérioration en cascade des normes et de la responsabilité. Les hommes politiques, dont les principaux objectifs sont le pouvoir et l’enrichissement personnel, ont cherché des solutions faciles et à court terme à des problèmes économiques et sociaux qui nécessitent des solutions complexes et à long terme (...)
Plutôt que de s’efforcer de fournir des biens publics à une échelle permettant d’offrir des opportunités à tous, les dirigeants politiques se sont présentés comme des sauveurs accordant l’accès à des biens publics rares, souvent sous la forme de gratuités faciles à annoncer. (...)
La société a reflété la politique. Comme l’explique l’économiste et théoricien des jeux Partha Dasgupta, lorsque les normes morales s’effondrent, tout le monde s’attend à ce que les autres trichent, et donc tout le monde triche pour devancer les autres tricheurs. (...)
Aujourd’hui, l’Inde se trouve dans un piège moral où les normes ne sont pas respectées et où la responsabilité politique fait, elle aussi, défaut. La mort des rivières pourrait étouffer non seulement l’économie, mais aussi tout un mode de vie. Et la crise climatique indienne est là, menaçant d’aggraver les ravages d’une dégradation environnementale irréfléchie. (...)
Les risques imminents pour les vies et les moyens de subsistance
Au cours des années qui ont suivi l’indépendance, les rivières asséchées et mourantes sont devenues le symbole tragique des échecs du pays en matière de développement et de démocratie. Les rivières indiennes sont une ressource en concurrence directe avec une agriculture gourmande en eau. Elles luttent contre l’expansion urbaine chaotique et polluante. Elles sont impuissantes face aux barons de la construction et à la mafia du sable, qui répondent à l’appétit insatiable des nouveaux riches de l’Inde pour les tours d’habitation, les immeubles de bureaux modernes, les centres commerciaux tape-à-l’œil, les fronts de mer et les parcs aquatiques. (...)
L’Inde, qui se trouve dans une zone chaude et humide où les glaciers fondent et où la température de l’océan augmente, est particulièrement vulnérable au réchauffement de la planète. Des années de construction, d’exploitation minière et de déforestation effrénées ont affaibli les défenses de l’Inde contre les phénomènes climatiques extrêmes. La catastrophe est peut-être plus proche que ne le pensent les décideurs politiques du pays (...)
Au cours des dernières décennies, l’Inde a connu des vagues de chaleur extrême plus fréquentes. L’humidité élevée et la forte pollution de l’air ont rendu les vagues de chaleur particulièrement meurtrières. (...)
des vagues de chaleur récurrentes ont coïncidé avec des précipitations insuffisantes, faisant un nombre de victimes encore inconnu mais entraînant une perte évidente de la production de blé au Punjab, en Haryana et en Uttar Pradesh. Cette perte de production a déclenché une vague de suicides parmi les agriculteurs endettés. Avec l’augmentation des températures mondiales, une vague de chaleur sévère au cours de la prochaine décennie pourrait faire de l’Inde la première grande victime de la crise climatique, faisant des milliers de morts et infligeant une perte de revenus dévastatrice (...)
Le manque de respect de l’Inde pour les mesures de protection de l’environnement et la crise climatique interagissent de manière explosive dans les montagnes de l’Himalaya, géologiquement fragiles. (...)
Les barrages hydroélectriques sur les rivières de l’Himalaya et le projet d’élargissement de l’autoroute Char Dham du Premier ministre Modi dans l’Himalaya rasent les forêts et ajoutent aux débris des glissements de terrain en montagne, augmentant ainsi leur force meurtrière. (...)
Dans l’impasse dans laquelle se trouve l’Inde, il n’y a pas de solution facile (...)
Le gouvernement réprime la dissidence publique, intimide les journalistes et sape le système judiciaire, de sorte que sa corruption, ses politiciens criminels et sa violence restent en pratique incontrôlés7.
L’impasse est due au fait que les politiciens qui n’ont pas de comptes à rendre ne s’imposent pas à eux-mêmes de rendre des comptes (...)
Les initiatives du gouvernement indien ont souvent l’allure du film Un jour sans fin : les choses semblent toujours sur le point de changer mais elles finissent toujours par ne pas changer. (...)
En Inde, le revenu de base universel accroîtrait considérablement l’autonomie financière des femmes, les aidant à élever des enfants en meilleure santé et mieux éduqués. Mais pour parvenir à un revenu de base universel raisonnable, il faut relever le défi politique de l’élimination des subventions accordées aux riches et aux personnes influentes et de l’augmentation de leurs taux d’imposition (...)