
Attaquées pour leur rôle dans le réchauffement climatique, les multinationales pétrolières cherchent à redorer leur image, y compris par le mécénat culturel. Des groupes comme BP, Shell ou Total émargent au budget de grands musées comme le Louvre. Une action désintéressée ? Pas totalement, si l’on en croit leur influence sur certaines thématiques d’exposition, parfois directement liées à leurs intérêts. Sans compter les importantes déductions fiscales auxquelles ces donations donnent accès. En Angleterre, les militants pour le climat ont réussi à enrayer la machine. Qu’en est-il de ce côté-ci de la Manche ?
En décembre 2015, alors que la Conférence sur le climat (COP21) bat son plein à Paris, des militants vêtus de noir pénètrent dans la Pyramide du Louvre et déversent de la mélasse sur le sol de marbre pour figurer une marée noire. Leur objectif ? Dénoncer le partenariat financier noué entre le prestigieux musée et deux firmes pétrolières, l’italienne Eni et la française Total. À l’extérieur, des activistes brandissent des parapluies noirs marqués de lettres blanches, pour former le slogan Fossil Free Culture (« culture sans énergies fossiles »).
Un grand nombre de ces militants sont britanniques, et leur action s’inscrit dans une campagne beaucoup plus virulente et beaucoup plus médiatisée outre-Manche, ciblant les partenariats des grandes institutions culturelles du Royaume-Uni avec les deux firmes pétrolières « nationales », BP et Shell. Cette campagne ne cesse de prendre de l’ampleur, avec le soutien d’artistes, sous la bannière de la coalition Art Not Oil. Avec quelques succès à la clé. Le Science Museum de Londres a mis fin à ses relations avec Shell, après la révélation d’une tentative d’influence de la firme pétrolière sur le contenu d’une exposition sur le changement climatique en 2015. Surtout, la Tate – institution chapeautant plusieurs musées, dont Tate Modern et Tate Britain –, particulièrement ciblée par les militants, a mis fin à ses relations avec BP après 26 ans de partenariat.
Climat : les opérations marketing de Total
Une dynamique équivalente peut-elle voir le jour en France ? C’est le pari que fait le mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles, sous la bannière de l’organisation 350.org, en lançant aujourd’hui une campagne appelant le Louvre à couper tout lien avec les firmes pétrolières en général et avec Total en particulier. (...)
Grand mécène du Musée du quai Branly depuis 2009, la fondation Total a ainsi soutenu pas moins de dix expositions, pour la plupart centrées sur les arts africains (Côte d’Ivoire, Nigeria, Congo), auxquelles s’ajoutent une exposition sur « Les Arctiques » en 2010 et une sur la Papouasie Nouvelle-Guinée en 2016. Autant de contrées où Total a des activités. Même constat pour l’exposition « Angola, Figures du pouvoir » en 2011 au Musée Dapper à Paris.
Le Louvre est un partenaire de choix pour de telles opérations, particulièrement lorsqu’elles s’inscrivent également dans les priorités diplomatiques du gouvernement français. L’année 2010 a été riche de ce point de vue, avec l’exposition « Sainte Russie » sponsorisée par Total, GDF Suez et Gazprom, dans le cadre de l’Année de la Russie en France. Puis, quelques mois plus tard, « Routes d’Arabie », sponsorisée par Total et la compagnie pétrolière nationale saoudienne Aramco. Au même moment, Total et Aramco finalisaient leur projet de construction d’une raffinerie géante à Jubail, à l’Est de l’Arabie saoudite. À une moindre échelle, la fondation Total a aussi soutenu l’exposition de 2015 sur « L’épopée des rois thraces », réalisée en partenariat avec la Bulgarie – au moment même où Total s’apprêtait à lancer des forages pétroliers et gaziers au large des côtes bulgares en Mer noire. (...)