
La réduction des inégalités sociales de santé devrait être au cœur des politiques publiques. Il faut un vrai plan d’action, qui concerne le système de soins, mais aussi la protection sociale, le logement, l’éducation, le retour à l’emploi après une maladie ou un accident. Les propositions de Thierry Lang, chercheur en épidémiologie sociale.
(...) Les chiffres les plus récents, publiés par l’Insee en 2018, montrent un écart d’espérance de vie de treize ans entre les 5 % des hommes disposant des revenus les plus bas et les 5 % des hommes aux revenus les plus hauts. Pour les femmes, les écarts d’espérance de vie sont moins marqués. À ces inégalités de mortalité s’ajoutent des inégalités dans la qualité de vie, conséquences de diverses incapacités (difficultés visuelles, auditives ou des gestes de la vie quotidienne). Il existe donc une « double peine », portant sur la durée de vie, mais aussi sur ses conditions. Ces différences sociales persistent aux âges élevés. Le système statistique se révèle incapable de contribuer au pilotage des politiques publiques face aux inégalités sociales de santé pendant une crise sanitaire comme celle de la Covid-19, faute de données sociales. La réduction des inégalités sociales de santé apparait comme une intention louable, mais secondaire, qui s’efface dès que des décisions sanitaires majeures ou urgentes sont à prendre.
Malgré le niveau élevé des inégalités sociales de santé, un des plus élevés d’Europe occidentale, cette question a été délaissée en France. Ce qui frappe est d’abord l’absence de débat social à ce sujet. La confusion commune entre ces inégalités et les actions tournées vers les populations précaires entretient la perception qu’elles font l’objet de politiques publiques. Il est étonnant que cet enjeu de justice autour d’un bien aussi fondamental que la santé reste encore largement un débat d’experts. Les inégalités de santé ne créent que des victimes anonymes et sans visages, qu’il est difficile de mettre sur l’agenda politique, malgré l’enjeu de justice sociale. Elles ne concernent pas seulement les marges de la population, mais son organisation sociale d’ensemble, et touchent aux fondements de la société. (...)
De manière dominante en France, on continue de voir la santé comme une résultante du système de soins et de l’environnement biologique de la population, dans une apesanteur sociale étonnante. Pourtant, même dans ce cadre biomédical, se posent les questions d’accès financier, géographique et culturel aux soins, trop rarement posées.
Les comportements sont une deuxième composante de la construction de la santé. Contrairement à une expression courante, ces comportements (alimentation, consommation d’alcool, exercice physique…) ne sont pas seulement « individuels », mais aussi sociaux. (...)
Enfin, la santé est façonnée par l’ensemble des conditions de vie, aussi bien matérielles que sociales. L’emploi et le travail fabriquent la santé et les inégalités, par leurs aspects physiques mais aussi psychologiques et sociaux. L’habitat et l’urbanisme ont montré en temps de Covid à quel point ils favorisaient la transmission, freinaient la prévention. Enfin, les travaux scientifiques ont montré toute l’importance pour la santé de l’estime de soi, de la reconnaissance sociale ou encore du sentiment de contrôler sa vie. (...)
En France, le système de protection sociale joue un rôle considérable mais, en l’absence de modèle global de la santé, des choix de priorités sont impossibles et des actions de prévention, par exemple loger des personnes au lieu de financer les soins de santé résultant de l’absence de domicile ou d’habitats dégradés, se heurtent aux fonctionnements cloisonnés des administrations.
Évaluer les effets des politiques publiques
Puisque la santé se construit dans toutes les politiques (environnement, urbanisme, politiques de la ville, éducation, nouvelles technologies), mettre en place une procédure d’évaluation d’impact en santé, examinant les effets de chaque politique sur les inégalités dans le domaine de la santé, serait un premier pas décisif (...)
Thierry Lang
Professeur émérite de santé publique et chercheur en épidémiologie sociale, Inserm-Université Toulouse 3. Membre du Haut Conseil de la santé publique. Auteur avec Gwenn Menvielle de « Les inégalités sociales de santé : vingt ans d’évolution », ADSP n° 113, Presses de l’EHESP, mars 2021.