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Basta !
Charcuterie aux nitrites dans les cantines : « Pourquoi donner des aliments cancérogènes aux enfants ? »
#yuka #nitrites #charcuterie #lobbys
Article mis en ligne le 17 juin 2023
dernière modification le 16 juin 2023

Mangerions-nous des aliments qui, au sens propre, seraient empoisonnés ? C’est cette question qui a conduit le journaliste Guillaume Coudray à démarrer une enquête sur les nitrites il y a 15 ans. Entretien.

  basta ! organise un débat avec Guillaume Coudray et d’autres intervenant·es le lundi 19 juin à 19 h à Paris sur l’urgence d’enquêter sur le système agro-industriel.

basta ! : Dans votre dernier ouvrage, Nitrites dans la charcuterie : le scandale, vous écrivez avoir été « saisi », au début de vos investigations, par le contraste entre les connaissances scientifiques sur les effets cancérogènes des nitrites et l’absence de politique de santé publique. Faites-vous le même constat quinze ans après ? (...)

Guillaume Coudray : Il existe toujours un fossé entre tout ce que l’on connaît sur les nitrites (c’est l’une des causes des 40 000 nouveaux cas de cancers colorectaux diagnostiqués chaque année) et l’absence de prise en compte dans les politiques de santé publique. Mais grâce à la mobilisation de Foodwatch, de Yuka (application mobile qui scanne les aliments afin d’obtenir une information claire sur l’impact du produit sur la santé) et de la Ligue contre le cancer, le « dossier nitrites » est désormais incontournable.

Il y a quinze ans, j’étais totalement isolé sur ce sujet. À l’époque, je lisais des travaux d’experts sans avoir compris qu’ils étaient associés à l’industrie des viandes nitrées. Je n’avais pas imaginé qu’il y avait une manipulation de la science et de l’expertise. Peu à peu, j’ai découvert que la plupart des publications scientifiques qui justifiaient l’utilisation des additifs nitrés venaient d’un petit groupe d’auteurs se présentant comme indépendants.

En réalité, tous ces gens étaient liés à un groupement industriel, l’American Meat Institute, et menaient une véritable opération de falsification de la science pour cacher la cancérogénicité des viandes nitrées. Des vérités sont sues, mais cachées volontairement. (...)

Le lobby est capable d’intervenir au plus haut niveau comme le montre l’éjection de la conseillère du ministère de l’Agriculture, plutôt favorable à une politique anti-nitrites. Elle a été évincée du ministère en raison de ses prises de position conformes à la science, mais pas à ceux des intérêts des nitriteurs (...)

En France, ce n’est pas l’Anses, la science, les député·es et encore moins les citoyen·nes ou les consommateurs qui ont le dernier mot : ce sont les intérêts économiques qui sont très bien représentés. (...)

Face aux scientifiques, aux avocats de la santé publique, à un mouvement consumériste puissant et démocratique, des industriels ont organisé un front commun. Ils ont martelé que les connaissances scientifiques sur lesquelles se basait le gouvernement Carter pour vouloir interdire les viandes nitrées étaient incomplètes et qu’il était trop tôt pour conclure.

Ils ont construit une science parallèle sur le nitrite en le présentant comme incontournable, pas vraiment nocif, voire positif. Quand j’ai commencé à fouiller le sujet il y a 15 ans, toute la controverse sur le nitrite avait complètement disparu. (...)

Ce qui est sidérant dans le dossier nitrites, c’est qu’il n’y a pas un, mais plusieurs mensonges : ils mentent sur la nécessité des nitrites, leur finalité, leur effet en termes de pathologie, leur utilité économique... Ils mentent sur tout. En France, désormais, l’argument du ministère de l’Agriculture pour ne pas interdire les nitrites est concurrentiel : « On ne peut pas interdire, car les autres pays européens, eux, vont continuer de l’utiliser », « il faut défendre notre industrie, nos emplois ». Face à cette panoplie d’arguments, il faut être sur tous les fronts. Car quand on creuse, ces arguments sont tous fallacieux. (...)

Le député Richard Ramos estime que les industriels cherchent à faire « une gamme sans nitrites pour les bobos » et « une gamme avec nitrites pour les pauvres qui ont le droit de crever ». Les plus précaires sont-ils finalement les premières victimes de ce refus d’interdire les nitrites ?

Les plus gros consommateurs de charcuteries en France sont les familles nombreuses modestes, les ouvriers, les agriculteurs. Ils consomment les charcuteries les plus nitrées, car ce sont les moins chères. Ce sont ces plus gros consommateurs qu’il faudrait le plus protéger.

Or, à partir du moment où ces additifs nitrés sont autorisés, les consommateurs moins informés n’imaginent pas que ces produits sont cancérogènes. On est en train de favoriser une grande disparité dans l’alimentation. (...)