
En quelques heures dans la dernière semaine de septembre, le contexte du bras de fer avec le pouvoir macroniste a changé de consistance. Un nouveau contexte se dessine. Certes, l’offensive générale se confirme côté pouvoir. Mais le champ de la résistance s’est élargi du fait même des conditions dans lesquelles ce pouvoir évolue. Pendant ce temps autour de nous en Europe, la roue de l’Histoire continue son chemin de déconstruction de l’ancien monde. Dans le tohu-bohu de l’affaire de la Catalogne barcelonaise se montre une nouvelle fois la puissance des mouvements tectoniques qui affectent le vieux continent et ne le lâcheront plus avant longtemps. Car l’aveuglement des dirigeants de « l’Europe qui protège » détruira la paix et les sociétés plus sûrement que n’importe quel « populisme ». Elle le fera en nourrissant des nationalismes hier éteints, et en jetant les uns contre les autres les peuples, les régions et les catégories sociales.
C’est une étrange semaine qui vient de s’écouler. La meute a bien écorné le message de notre marche du 23 septembre en fabriquant de toutes pièces un débat fumeux sur la place du peuple dans la Libération contre les nazis. Puis le lendemain, le mouvement des transporteurs routiers a été rudement réprimé. Le pouvoir s’est donc cru tiré d’affaire, malgré la marche réussie le 28 septembre des retraités. Il n’en est rien. La volatilité de la situation est restée la plus forte. Des évènements se sont précipités et ont renforcé le camp de la résistance.
Par exemple, et ce n’est pas rien, le front syndical a changé de configuration. Force ouvrière s’est installée dans l’opposition à l’ordonnance contre le code du travail. Les cadres de la CGE CFE de même. La CGT, FSU et solidaire ne sont donc pas isolés et confinés comme le croyait acquis l’équipe Macron. C’est donc une toute nouvelle configuration qui se présente. La période jusqu’à la loi d’habilitation de ces ordonnances qui devraient revenir devant le Parlement au mois de novembre ne sera donc pas un simple bouclage. (...)
Mais il est décisif d’observer surtout les changements du contexte. Le climat n’est plus celui dont avait besoin le pouvoir. Ce n’est ni l’enthousiasme du début parmi les assaillants ni la résignation attendue parmi les agressés. La nouvelle phase de l’action va rencontrer un nouveau contexte psychologique. C’est celui qui est créé par l’annonce du projet de budget de l’État et celui sur la Sécurité sociale.
La signature politique de ces deux documents est accablante. Il s’agit d’une surenchère antisociale caricaturale. La théorie du « ruissellement » est ici appliquée avec un aveuglement consternant. Offrir 4 milliards d’allégements fiscaux directement ciblés en faveur de l’oligarchie la plus concentrée dans le capital financier est si stupéfiant ! Et cela se produit la semaine ou deux fleurons de l’industrie française sont bradés, faisant apparaître l’incapacité absolue du capitalisme français de prendre en charge quoi que ce soit de l’intérêt collectif du pays. Car les chantiers de l’Atlantique sont mis en vente pour 80 millions avec un carnet de commande plein pour dix ans par exemple. Et le TGV pour bien peu également. Mais cela se fait dans l’indifférence absolue de ces millionnaires qui ont pourtant en France le record d’Europe de distribution des dividendes.
L’opinion est donc sous le double choc du sentiment d’un abus social et d’une humiliation nationale. Le pouvoir, qui croit sa propagande et la clameur des médias qui lui sont voués, ignore la profondeur du choc ainsi reçu. Il modifie pourtant les conditions dans lesquelles les gens se représentent la légitimité de ce pouvoir. (...)
surtout, il existe une prise de conscience populaire d’être agressés de tous les côtés à la fois. Elle se nourrit aussi des craquements qui s’observent dans les structures les plus traditionnelles qui font la stabilité de l’Etat. Ainsi quand les présidents de régions font sécession à la conférence des territoires, lorsque l’association des départements de France refuse de prendre place dans le plan d’économies gouvernementales, ou quand 2000 CRS se font porter malades et que le président de la République n’a plus de motards pour l’escorter à Marseille.
Je ne crois pas que l’intervention d’Edouard Philippe sur « France 2 » ait conforté l’image de stabilité du pouvoir en place. Aucun Premier ministre ne peut tenir sérieusement son rôle quand une photo le montre absent d’une séance de signature emblématique de la nouvelle politique en œuvre. Et encore moins s’il ne sait pas si son propre gouvernement soutien ou non un accord de libre échange aussi décisif que le CETA. (...)
le bras de fer avec le pouvoir n’est pas tranché. La nouvelle donne syndicale et l’impact négatif du projet de budget sont à l’œuvre désormais. Le lâchage de dernière minute du PS qui décide d’entrer dans le combat complète l’isolement qu’il est nécessaire de construire autour du pouvoir macroniste. Il devrait creuser aussi les contradictions de ce parti à l’intérieur de ses groupes parlementaires lourdement divisés a propos du nouveau pouvoir. Que le pouvoir soit identifié à sa nature de droite libérale est une condition essentielle pour la suite de l’action et pour réunir les conditions de sa défaite politique le moment venu. Le tableau se met en place. Les opportunités de la lutte sont donc entières. Il n’y aura donc pas de cessez-le-feu.
L’Europe allemande, hélas !
Le résultat des élections législatives en Allemagne est un événement dont l’onde de choc n’est pas près de se disperser. Dans ce pays aussi, le dégagisme s’est exprimé. Naturellement, cela se passe dans les conditions d’un pays où l’amortisseur générationnel joue à plein pour amoindrir tous les tranchants : peu de jeunes, beaucoup de personnes âgées très conservatrices et apeurées.
Les deux partis pivots du système ont subi un énorme revers électoral. Ils sont descendus en dessous de leurs seuils historiquement les plus bas. S’agissant de la social-démocratie, la pente est continue, en phase avec la dégringolade générale dont le logiciel programmatique est devenu totalement obsolète.
La progression des petits partis est la forme essentielle d’expression du désaveu qui a touché les grands. Et l’extrême droite a fait sa percée. Tout est lié. Pourtant en Allemagne comme en France la caste dominante semble saisie de stupeur. Elle l’est là-bas comme ici parce qu’elle aussi a cru à sa propre propagande. (...)
L’extrême droite a fait une percée sur la question de l’immigration nous dit-on. C’est rarement aussi simple. En tout cas elle a fracassé le consensus que la droite et les sociaux-démocrates avaient répandu dans les têtes comme une drogue. L’immigration n’a pu prendre cette importance dans le débat qu’en raison de la violence du dénuement qui s’y trouve déjà et de l’opposition de chacun contre tous qui est la signature de ce type de situation.
À mes yeux, l’évidence est de retour : l’Allemagne va redevenir un sérieux problème pour l’Europe. Mais a-t-elle jamais cessé de l’être ? L’égoïsme de la caste dominante allemande est certainement le plus aigre et le plus violent de toute l’Europe. (...)